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front chauve, un triple menton ; quelque chose d’enfantin, j’allais dire de poupin, avec, au delà, je ne sais quoi de profond, d’arrêté qui indique la force et qui inspire le respect : ainsi se présente, tourmenté par la goutte, le troisième supérieur du séminaire de Saint-Sulpice, M. Tronson.

M. Tronson avait une activité réglée, infatigable et universelle, qui embrassait tous les séminaires de France et du Canada régis par des Sulpiciens. Sa compétence descendait aux plus petits détails matériels ; elle ne dédaignait pas la cuisine ; elle ne dédaignait rien. Et non moins aisément elle s’appliquait aux plus graves affaires. M. Tronson était un vrai directeur d’âme et un maître des esprits. Ce qui agrandissait sa tâche, c’est qu’il devait, par profession et par vocation, conduire ainsi des hommes qui étaient eux-mêmes des prêtres et des conducteurs d’âmes. Sans coquetterie, sans style, sagement, posément, avec un ton de candeur, en distinguant bien les choses, un à un il donne ses avis dans ses lettres. Parfois il plaisante ; et même. Dieu lui pardonne, il fait des calembours. Parfois, il s’attriste ; jamais il ne se fâche. Surtout jamais il n’est hésitant ou fuyant. Il n’a jamais le ton d’un homme qui impose ses conseils ; il les impose pourtant, et ses conseils sont des ordres. Or ce qui transparaît dans toutes ses démarches, c’est la piété sans doute, mais c’est aussi le bon sens, un bon sens infaillible, M. Tronson n’est pas subtil, il est perspicace : il voit directement les situations et les gens comme ils sont. M. Tronson n’est pas profond, il est judicieux : il voit immédiatement la solution juste des difficultés qui se présentent. M. Tronson ne se laisse jamais éblouir ni duper : il a été l’adversaire déterminé du jansénisme et du quiétisme. M. Tronson a été l’invariable ami de Fénelon.

A peine entré à Saint-Sulpice, Fénelon écrivait à son oncle : « Quoique ma franchise et mon ouverture de cœur pour vous me semblent très parfaites, je vous avoue néanmoins, sans craindre que vous en soyez jaloux, que je suis bien plus ouvert à l’égard de M. Tronson, et que je ne saurais qu’avec peine vous faire confidence de l’union avec laquelle je suis avec lui. Assurément, monsieur, si vous voyiez les entretiens que nous avons ensemble, et la simplicité avec laquelle je lui fais connaître mon cœur, et avec laquelle il me fait connaître Dieu, vous ne reconnaîtriez pas votre ouvrage, et vous verriez que Dieu a mis la main d’une manière sensible au dessein dont vous n’aviez