Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 49.djvu/296

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Saint-Aignan qui s’appela bientôt duc de Beauvilliers. La duchesse de Mortemart était veuve ; les deux autres vivaient dans une intimité absolue avec leurs maris ; et toutes les trois étaient unies par une tendresse, une communauté de sentimens et d’idées plus que fraternelles. Elles avaient la gravité de leur père ; elles étaient inégalement belles et mondaines ; mais également pieuses, d’une dévotion concentrée et austère, intelligente toutefois, non rapetissée. Leurs maris étaient comme elles : même affection, même piété, mais chacun avec son tempérament. Beauvilliers était réfléchi, lent à parler, tremblant de s’engager, craignant de céder au premier mouvement : avec cela d’une politesse achevée, d’une droiture rigide et d’une pénétration sans égale ; entre le monde et lui, entre son cœur et lui, il mettait une réserve, une dignité qui n’abdiquait jamais ; sans doute, il avait une âme de feu. L’autre, le duc de Chevreuse, ancien élève des Jansénistes (la Logique de Port-Royal avait été écrite pour lui), parlait, s’agitait et ajoutait à sa parfaite droiture, bonté et fidélité, le ridicule de quelques prétentions : il avait le goût de la discussion en forme, mais de la discussion réglée et capable d’aboutir à la certitude géométrique. Il avait « en chaque chose l’esprit d’exactitude et d’anatomie, » et il s’intéressait trop aux petites choses ; il était entêté de généalogie. Il lui manquait de « tenir en silence son esprit et sa langue, » et de « voir les affaires d’une vue nette et simple ; » au reste, le cœur le plus sincère et la conscience la plus noble.

À ce groupe des trois sœurs et des deux beaux-frères, que le monde et que le Roi lui-même regardaient de loin et avec respect, s’ajoutait parfois le plus brillant des hommes de ce temps et la plus haute fortune, le fils aîné de Colbert, Seignelay. Le jeune et puissant marquis de Seignelay, grand ministre aux vastes desseins, porté par la faveur royale, jouissait ardemment de la vie. Mais la tristesse du sang de Colbert avait ses revanches ; l’exemple de la famille réveillait en lui les préoccupations religieuses. Et, dans ces soudains accès, le marquis revenait à M. Tronson et à ses sœurs.

Le cercle se complétait (tant les choses humaines ont de surprenantes rencontres) par la duchesse de Béthune-Charost, la propre fille de Fouquet ; elle avait, cette pauvre femme, une piété mystique et tendre, prête à voir en tout du surnaturel, une foi d’illuminée.