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puis Mme de Maintenon découvrent la femme qui a, par inspiration directe, les secrets de l’amour divin.


Mme Guyon était à peu près du même âge que Fénelon : il était né en 1651, elle en 1648. Elle était laide ; pis encore, elle était déchue d’une grande beauté : la petite vérole avait ravagé ses traits. Elle était usée par ses maladies, ses voyages et une première captivité, sans compter les tempêtes de sa vie intérieure : car elle avait eu l’âme ardente, et prompte aux révolutions. Elle avait été diversement pieuse selon les époques, d’une piété orageuse et mal définie. Elle avait été mariée sinon contre son gré, du moins contre son humeur : elle n’aima son mari qu’en le perdant. A un instant déterminé, le 22 juillet 1680, elle avait définitivement connu sa vraie vocation et la lumière s’était faite. « Je sentais tous les jours augmenter en moi une espèce de béatitude, écrit-elle, j’étais étonnée de la netteté de mon esprit et de la pureté de mon cœur. » Et aussitôt elle s’était mise à courir le monde, appelée dans les diocèses, et chassée quand son « esprit » se répandait au dehors, quand l’étonnement provoqué par ses « conduites » tournait au scandale, et parfois aussi peut-être quand on croyait n’avoir plus rien à attendre de sa bonne volonté et de sa grande fortune. Ainsi elle était allée à Gex, Turin, Grenoble, Marseille, Verceil : de là à Paris, où l’archevêque l’avait enfermée chez les Visitandines. Délivrée par l’intervention de Mme de Miramion, présentée à Mme de Maintenon, introduite à Saint-Cyr, elle touchait à la paix, à la grande paix active et féconde.

Elle séduit tout le monde ; les gens les plus prévenus contre elle subissent son charme et son ascendant. Elle est bonne, elle est désintéressée ; elle se donne ; elle n’a que des pensées généreuses et magnifiques ; et sa folie, quand elle est hors du bon sens, a quelque chose de profond et de divin où la sagesse n’atteint pas. Il faut l’admirer. Môme ceux qui n’ont pas l’illusion sur les yeux, même ceux qui la craignent ou la plaignent, l’admirent. Et puis elle a un caractère singulier, unique : une immense forêt pleine de vie, un fleuve puissant, tranquille, la mer, le mouvement des nuages dans un horizon vaste, inspirent une sorte de respect attentif, ont un attrait insensible et souverain, forcent à la contemplation. L’âme de Mme Guyon éveillait un sentiment analogue : en elle on sentait une force de