Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 49.djvu/299

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

même ordre : même aisance, même abondance, même plénitude, Mme Guyon se tient à côté des gens, elle n’a pas besoin de parler, il suffit qu’elle soit là, et l’amour divin déborde et inonde les cœurs. Mme Guyon prend la plume, et, sans qu’elle réfléchisse, sa main, que son esprit ne prétend pas conduire, sa main remplit indéfiniment des pages enflammées. « Avant que d’écrire, dit-elle, je ne savais pas ce que j’allais écrire ; en écrivant, je croyais que j’écrivais des choses que je n’avais jamais sues ; avais-je écrit, je ne me souvenais de quoi que ce soit que j’avais écrit... L’écrivain (le copiste) ne pouvait, quelque diligence qu’il fit, copier en cinq jours ce que j’écrivais en une nuit... » Le subconscient, comme on dit aujourd’hui, a en elle toutes les capacités réservées à la raison ou à la réflexion, et il a en outre l’action directe, sans fatigue et sans mesure, des puissances naturelles.

Un enseignement médiocre professé par une telle femme aurait toujours eu du succès. Mais Mme Guyon ne professait pas une doctrine médiocre.

Il y a des esprits qui conçoivent tout sous des modes nets et rationnels, qui n’imaginent pas d’action sans une volonté, ni d’ordre sans une intelligence, et qui ne peuvent concevoir et imaginer qu’un Dieu distinct et personnel. D’autres esprits, moins catégoriques et moins nets, ont, au lieu d’idées toutes définies, des sensations diffuses et universelles-, comme si l’universalité de leur organisme était en communication avec l’universalité des choses ; ceux-là répugnent à concevoir un Dieu solide ; ils entendent mieux une perfection sans support, une bonté sans corps, une divinité éparse, mêlée, confuse, animant tout, âme de l’univers. Mme Guyon est de ces derniers esprits. Ou plutôt c’est « son esprit. »

Mme Guyon n’avait pas une intelligence systématique et abstraite, — heureusement ! De son « esprit » elle ne faisait pas un système ; elle le transportait dans la dévotion.

La dévotion, depuis saint Ignace de Loyola et saint François de Sales, était devenue une discipline bien réglée, une pédagogie méthodique ; « l’amour divin, » de préparation en préparation, d’exercice en exercice, s’agrandissait, montait ; les directeurs de conscience le gouvernaient, comme un instituteur gouverne et développe l’esprit d’un enfant. Puis était venu le jansénisme, qui avait tourné cette dévotion, vers le « tremblement. »