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théologiques renferme l’enseignement de Mme Guyon : « Je suis persuadé, comme vous le dites, écrit-il, que les personnes intimement unies à Dieu le connaissent et l’aiment par un acte très simple ; mais j’aurais besoin d’une ample explication : le chrétien qui s’abandonne sans réserve peut consentir à être éternellement heureux ou malheureux, si c’est la volonté ; mais il me semble qu’il ne peut jamais consentir à haïr Dieu dans l’enfer. » De même il discerne qu’on peut donner un très mauvais sens à cette union, à cette « perte » de l’âme en Dieu : « Pour N... qui ne veut pas que l’âme passe en Dieu et qu’elle s’y repose, j’imagine qu’il aura entendu ces expressions dans un sens où il aurait raison de les condamner. Il est vrai qu’en cette vie on ne passe jamais en Dieu en sorte qu’on... cesse d’être voyageur : l’union commencée avec Dieu est encore imparfaite, en ce qu’on ne voit point clairement l’essence divine, et qu’on n’est jamais impeccable : on peut jusqu’au dernier souffle perdre la grâce. Ainsi l’union est imparfaite et fragile. Pour le repos en Dieu, il serait une oisiveté et une illusion, si on cessait d’être fidèle à l’accomplissement de l’évangile et aux devoirs de la Providence, pour le dehors et pour le dedans. » Enfin Fénelon va jusqu’à avoir des velléités, sinon de doute, du moins de clairvoyance sur Mme Guyon (je ne sais ; mais ces velléités ne sont peut-être pas spontanées ; Fénelon les doit probablement à Mme de Maintenon). « Je vous avouerai, écrit-il à Mme Guyon, que je me sens porté à croire que vous vous trompez quelquefois sur les gens et sur leurs dispositions, quoique je ne croie pas que vous vous soyez trompée sur moi : c’est là une tentation que je vous ai avouée plusieurs fois. Elle va de temps en temps jusqu’à craindre que vous n’alliez pas trop vite, que vous ne preniez toutes les saillies de votre vivacité pour un mouvement divin, et que vous ne manquiez aux précautions les plus nécessaires. » Mais il retire ses doutes et il s’empresse d’ajouter : « Outre que je ne m’arrête pas à ces pensées, de plus, quand je m’y arrêterais, elles ne feraient rien, ce me semble, contre le vrai bien de notre union, qui est la droiture et la voie de pure foi et abandon où je veux vous suivre. »

Ainsi, Fénelon croit malgré tout ; il s’obstine à suivre Mme Guyon dans « la voie de pure foi et abandon. » Quand il reçoit d’elle quelque nouvelle instruction, il en est ravi. Ce n’est pas qu’il en éprouve quelque joie sensible, et c’est même ce qui