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avant-goût du sabbat éternel, » mais le monde ne s’aperçoit pas de leur transformation : il les voit seulement plus confians, « plus tranquilles, plus dégagés, et plus hardis ; » il se laisse conquérir par eux ; et « ce sont ces âmes déjà détachées de la terre qui finissent par la posséder. » En effet, Fénelon eut bientôt des raisons de croire qu’il le posséderait. Il arriva dans sa vie un événement qui acheva de le livrer à Mme Guyon.

Mme Guyon lui avait annoncé dès l’origine qu’il jouerait un rôle magnifique. « Vous serez ma langue, vous parlerez mon même langage et nous accomplirons ensemble toute justice, » lui avait-elle dit. Elle lui répétait qu’il avait de grandes choses à faire. Mais elle lui défendait de les hâter en les préparant : il fallait laisser agir les conjonctures, c’est-à-dire Dieu. Et Fénelon attendait en paix. On l’accuse à cette époque, on l’accuse d’être comme toujours et plus que jamais un ambitieux, et un subtil intrigant : il aurait ménagé sa fortune par des combinaisons sourdes, par des combinaisons de longue date. Quelle erreur ! C’est un aveugle qui chemine les mains en avant ; et c’est une autre aveugle qu’il prend pour guide : Mme Guyon ! Ils auraient dû se perdre tous les deux : et, au contraire, il leur arrive une prodigieuse confirmation.

Saint-Cyran, volonté puissante qui travaillait à renouveler le monde, avait souhaité d’être l’éducateur d’un roi. Le 16 août 1689, le duc de Beauvilliers était nommé gouverneur du Duc de Bourgogne, et le lendemain, Fénelon était nommé, sur la proposition de Beauvilliers, précepteur du jeune prince. Plus heureux que Saint-Cyran, Fénelon, l’apôtre du pur amour, ferait l’éducation d’un roi.

Mme Guyon lui écrivit aussitôt : « J’ai eu toute la joie dont je suis capable de la justice que Sa Majesté vous a rendue, mais je n’en ai été nullement surprise. J’étais si certaine que cette charge vous était réservée que je n’en pouvais douter... Ce qui me fut imprimé dans le cœur m’est encore confirmé : Qu’il soit petit et simple où le déguisement règne, et il vivra d’une vie que je lui puis seul communiquer. Je comprends pourquoi Dieu me pressait si fort pour vous... Dieu ne vous manquera jamais pour vous faire remplir la place où il vous met, et à laquelle vous n’avez point contribué. Moins il y aura de vous-même dans l’exercice de votre emploi, plus il y aura de Dieu. Vos talens naturels ne vous seront utiles, dans cet emploi, qu’autant que