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s’en remettait à sa capacité, le patrimoine familial un peu ébréché ; surveillant sans cesse, à pied et à cheval, les bâtimens d’exploitation, les terres et les travaux ; réussissant, par son activité et son intelligence des affaires, à rembourser les dettes et à augmenter considérablement les revenus, cette veuve de vingt-huit ans (1600) se donna surtout pour tâche de former d’excellentes chrétiennes et des femmes actives. Cette tâche, il est vrai, elle ne l’acheva pas. Il arriva un moment où son impatience de se donner tout à fait à Dieu la lui fit déserter pour l’abandonner à son père, le président Frémyot. La postérité la verra toujours triomphant des cris et des supplications de son fils, Celse-Bénigne, enjambant le corps de l’adolescent qui s’était couché sur le seuil pour l’empêcher d’aller où Dieu l’appelait, et cette scène dramatique a bien l’air de démentir ce que nous venons de dire de son cœur de mère. Quelque jugement qu’on porte sur une victoire de la grâce si douloureuse à la nature, elle ne peut ôter à Françoise de Chantal le mérite de l’affection maternelle dont elle a fait preuve avant qu’elle ait eu lieu, ni infirmer ce que nous avons dit de l’esprit dans lequel elle a élevé ses filles. La femme que Mme Acarie et Françoise de Chantal ont en vue, c’est une femme qui travaille et qui prie, une femme dont l’activité, non moins sanctifiante que la prière, s’étend des occupations domestiques les plus humbles jusqu’à l’administration la mieux entendue des intérêts de la famille. N’en concluons pas pourtant que la seconde, pas plus que la première, soit restée indifférente pour ses filles à la culture de l’esprit. Ce qu’il faut dire pour l’une comme pour l’autre, c’est que cette culture fut assurée par des leçons particulières.

Plus tard Madeleine de la Vergne, qui deviendra Mme de La Fayette, sera élevée aussi au foyer domestique ; mais son père, en présidant, jusqu’à ce que sa fille atteignît quinze ans, à cette éducation qui en fit une femme très avisée dans la conduite de sa maison et de ses intérêts, ne pourra pas non plus se passer de maîtres et de maîtresses et, parmi ces maîtres, il y aura, pour lui enseigner le latin, des hommes comme Ménage et le Père Rapin.

A défaut du père et de la mère, cette surveillance, cette direction étaient exercées par une sœur aînée, par un parent, une parente, soit dans la maison même, soit chez celui ou chez celle qui assumait les devoirs de la paternité ou de la maternité.