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de l’âme ne m’ont pas été moins refusés que ceux du corps. » Poursuivi par ses scrupules religieux, il demande à se confesser ; on ne le lui permet pas.

L’aumônier de la prison ne lui a jamais fait une visite dans sa détresse morale et a même répondu par un refus à toute demande d’entretien. Je sais bien qu’une coutume barbare privait les aliénés des secours de la religion. Mais comment une exception ne se fit-elle pas pour un homme d’une si grande valeur intellectuelle et morale, qui conservait dans sa conversation et dans ses écrits tant de lucidité ? Le prieur de l’hôpital était un homme lettré et vertueux dont le poète ne parle qu’avec égards, qu’il n’accuse pas personnellement de dureté, mais qui dut obéir à des ordres supérieurs en ne témoignant à son prisonnier aucune commisération.

Au fond, le Tasse se considère non sans raison comme la victime d’une vengeance implacable. Il reconnaît humblement ses torts ; il confesse qu’il a tenu des propos inconsidérés et injurieux ; il en demande pardon avec toutes les formes du respect et de repentir. Une faute telle que la sienne peut se réparer et s’expier. Dieu sait si l’expiation a été dure. Après qu’il a tant souffert, pourquoi ne lui pardonne -t-on pas, pourquoi lui tient-on rigueur si obstinément, si cruellement ? L’avocat officieux du duc de Ferrare, Solerti, essaie de plaider les circonstances atténuantes. Suivant lui, le Tasse n’était ni si mal traité, ni si abandonné qu’il le prétend. Des documens officiels établissent qu’en 1580 la garde-robe ducale fournit un baldaquin pour le lit du prisonnier. Au cachot primitif avaient succédé deux chambres, une pour se coucher, une autre pour travailler et pour recevoir. D’après le registre des comptes du palais, quelquefois on faisait porter au Tasse des œufs et régulièrement une livre de beurre par semaine. A partir de 1582, c’est la cuisine ducale qui le nourrit. Vraiment, des preuves d’intérêt si banales et si insuffisantes peuvent-elles nous rendre indulgens pour la mémoire d’Alphonse d’Este ? Ce n’est pas la nourriture du corps, ce ne sont même pas des sorties plus fréquentes, -comme on lui en accorde progressivement quelques-unes, que demande le Tasse. C’est la liberté pure et simple. Pour l’obtenir, il s’adresse au genre humain tout entier, il écrit à ses amis, aux souverains d’Italie, à l’Empereur, au peuple de Naples. En l’emprisonnant, on l’a privé de la possibilité de publier lui-même la Jérusalem