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injure ? Il arrivait dans des dispositions affectueuses, tout heureux de retrouver son ancien protecteur, persuadé que les joies du mariage le rendraient plus accessible et plus bienveillant que jamais. Il composait même un chant nuptial en l’honneur des deux époux. Et voilà que personne ne faisait attention à lui, qu’on ne lui réservait pas la plus modeste place dans cette Cour dont il avait été autrefois le favori. Ce fut la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Il tenait de son père une violence naturelle de tempérament qu’aggravait encore la maladie. La colère lui monta à la tête et, le 11 mars 1579, dans la dernière nuit du carnaval, ayant sans doute pu pénétrer au palais sous un déguisement et avec un masque, il y insulta quelques-unes des dames qu’il rencontra. Que dit-il ? Que fit-il ? On ne le sait pas exactement, on sait seulement qu’il fut-arrêté et enchaîné comme un fou furieux dans une des salles de l’hôpital Sainte-Anne.

On ne fait pas toujours ce qu’on veut avec les fous. Il y a des momens où on ne peut venir à bout de leur exaltation que par la force. Nous ne reprocherons donc pas au prince d’avoir fait enfermer le Tasse à la suite d’un accès de folie furieuse. Mais la responsabilité du duc de Ferrare commence le lendemain de l’internement. Comment le Tasse fut-il traité à Sainte-Anne ? N’y fut-il pas retenu plus longtemps qu’il n’était nécessaire ? Questions délicates, difficiles à résoudre, surtout à cette distance, sur lesquelles nous ne manquons pas cependant d’éclaircissemens. Quelques traits de lumière jaillissent de l’obscurité des faits. Pendant sept années, le Tasse, dont l’intelligence redevenait merveilleuse dans les intervalles lucides, a beaucoup écrit du fond de sa prison. Sa correspondance, contrôlée ou confirmée par d’autres témoignages, nous permet de juger la conduite d’Alphonse d’Este. Un premier point est acquis au procès, c’est que pendant quatorze mois le malheureux prisonnier a vécu misérablement. Il se plaint avec amertume de la peur que lui cause la perspective d’une prison perpétuelle, de la saleté dans laquelle on le laisse croupir. Sa barbe, ses cheveux, ses vêtemens sont dans un état lamentable. Par-dessus tout, cette nature aimante, sociable et généreuse est condamnée à une solitude qui la remplit de tristesse. En mai 1580, il écrit à Boncompagni : « Je suis resté plus de quatorze mois malade dans cet hôpital, sans y trouver aucune des commodités qu’on accorde généralement aux gens du peuple, à plus forte raison aux gentilshommes, mes égaux. Les remèdes