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Malgré son titre d’héritier présomptif, Georges-Louis n’était pas d’un placement facile ; brave sur le champ de bataille comme tous les princes de sa race, il était froid, maussade, gauche et parfaitement déplaisant. Sa mère ne lui avait rien donné de ses goûts intellectuels ; son esprit était borné, son ignorance crasse, son caractère vindicatif et profondément dépravé. Ses parens, qui ne l’aimaient guère, l’avaient envoyé, pour le policer, à la Cour de Versailles, où il n’eut aucun succès ; il ne réussit pas mieux en Angleterre, où sa mère rêvait de lui faire épouser la princesse Anne d’York, fille de Jacques II. L’idée d’un mariage entre la vive et gaie princesse de Celle et ce prince maussade fut communiquée par la Platen à Bernstorff, le ministre du duc Georges-Guillaume, qui l’adopta avec entrain, moins par intérêt pour la maison de Brunswick que par haine pour Eléonore, qui voulait marier sa fille avec le prince de Wolfenbüttel.

La duchesse Sophie elle-même entra dans la combinaison, tentée par le désir d’enlever aux Wolfenbüttel, maison rivale de la sienne, un riche héritage, et de marier à une héritière un fils qui lui faisait peu d’honneur.

Elle consentit même à se charger des pourparlers et, pour cela, à visiter Celle où elle n’avait pas mis les pieds depuis qu’Eléonore y régnait. L’histoire de son ambassade serait comique, si l’on ne sentait qu’à travers ces basses intrigues et ces grotesques aventures se joue la destinée d’un être sans défense.

La Cour de Hanovre savait que le 15 septembre 1682, jour où Sophie-Dorothée avait seize ans, le duc de Wolfenbüttel devait lui offrir ses hommages et demander sa main pour son fils ; il fallait donc prendre les devans, car le temps pressait. Le 14 au soir, la duchesse Sophie s’embarqua dans sa lourde voiture pour Celle. Son arrivée le lendemain matin fit sensation, étant donnés l’heure insolite et les rapports plus que froids qui, depuis le mariage d’Eléonore, existaient entre les deux Cours. Sans s’attarder à de vaines cérémonies, la duchesse, malgré l’heure matinale, entra comme chez elle dans le « Schloss » et pénétra dans la chambre du ménage princier. Là, s’emparant de Georges-Guillaume ahuri, elle lui développa en hollandais le projet élaboré par la Platen, pendant que, derrière ses rideaux, la pauvre Eléonore, perplexe et inquiète, ne comprenant rien à la conversation,