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se demandait quel hasard amenait sous son toit sa pire ennemie.

Le duc de Celle était facile à influencer ; flatté de la visite de sa royale belle-sœur, il abonda dans son sens avec une promptitude extraordinaire. Après une longue conversation, il revint annoncer à sa femme qu’il venait de promettre la main de sa fille à son neveu, Georges-Louis.

La duchesse de Celle consternée lui représenta en termes énergiques qu’il sacrifiait son enfant à un prince dont il connaissait le caractère dur, l’humeur sombre et l’immoralité publique, et qui, de plus, partageait la haine de sa mère pour la « Française. » Elle lui rappela les propos blessans tenus par Georges-Louis sur elle et sur sa fille, la promesse tacite faite au duc de Wolfenbüttel ; elle pleura, pria, plaida la cause de son enfant, comme si, pauvre femme, elle eût prévu les tragiques résultats de cette union maudite ; mais avec l’obstination des faibles, Georges-Guillaume s’entêta. L’influence de sa femme, déjà minée par Bernstorff, disparaissait devant celle de son impérieuse belle-sœur.

N’ayant rien obtenu, Eléonore alla prévenir sa fille qui dormait encore. Les trois pièces occupées par Sophie-Dorothée pendant ses heureuses années de jeunesse n’ont guère changé ; elles ont vue sur les douves du « Schloss, » ombragées aujourd’hui, comme alors, par des tilleuls.

La princesse, réveillée brusquement, éclata en sanglots ; elle détestait son cousin et sa tante, dont sa mère lui avait, imprudemment peut-être, répété les propos injurieux et, se cramponnant à la duchesse, elle la conjura de la sauver d’un sort pire que la mort ! Pendant que dans une aile du château, la mère et la fille, étroitement embrassées, s’abandonnaient au désespoir, dans l’autre, le duc de Celle et sa belle-sœur, mis en gaîté par la conclusion de leur affaire, déjeunaient copieusement. A peine avaient-ils fini qu’on annonça le duc de Wolfenbüttel qui venait, avec une suite nombreuse, offrir ses vœux à la princesse à l’occasion de ses seize ans et rappeler à ses parens l’espérance qu’ils lui avaient donnée. Eléonore et sa fille étaient trop bouleversées pour le recevoir et Georges-Guillaume répondit à ses complimens en lui annonçant le prochain mariage de Sophie-Dorothée avec l’héritier de Hanovre. Il poussa même le cynisme, ou l’inconscience, jusqu’à l’inviter au dîner de fiançailles :