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appeler bonheur le coupable entraînement qui troubla si profondément sa vie avant de la briser. Quelques mois après son retour de Rome, le 16 mars 1687, naquit son second enfant, une fille qui devint reine de Prusse et fut la mère du Grand Frédéric ; mais sa position, loin de s’améliorer, devenait de plus en plus difficile. Elle avait eu à lutter dès le début contre l’animosité de sa belle-mère et l’indifférence de son mari ; elle devait maintenant compter avec la haine de la comtesse Platen, qui, par jalousie, devint son ennemie.

Dans cette guerre à mort entre la femme déjà mûre, froidement perverse, et la princesse de vingt ans, vive et volontaire, mais incapable d’une lâcheté, la victoire demeura à la première. Après avoir vainement cherché à impliquer Sophie-Dorothée dans un complot politique, la Platen, exploitant l’indifférence du prince Georges pour sa femme, donna à celui-ci pour maîtresse Ermengarde Melusine von Schulenberg. C’était une fille noble, mais pauvre, douce et nulle, aussi lourde d’aspect et d’esprit que la princesse était vive et piquante ; pas méchante, du reste ; pourvu qu’elle s’enrichît, elle ne voulait de mal à personne. La position quasi officielle accordée à la Schulenberg exaspéra Sophie-Dorothée ; elle exprima hautement son indignation contre la Platen, à qui ses propos furent consciencieusement répétés. Sa belle-mère ne la plaignait pas : ne supportait-elle pas avec une philosophie hautaine l’empire exercé sur son époux par une rivale plus agressive que l’insignifiante Schulenberg ?

A Celle, où elle porta ses griefs, la princesse trouva auprès de sa mère la tendresse et la compassion qui jamais ne lui firent défaut, mais l’étoile d’Eléonore avait pâli et Georges-Guillaume ne voyait plus que par les yeux de son ministre Bernstorff, tout acquis à la maison de Hanovre. De plus, — phénomène qui n’est pas rare dans la vie, — le duc de Celle, en vieillissant, fuyait tout ce qui troublait sa quiétude. Il jouissait des rapports cordiaux que le mariage de sa fille avait rétablis entre sa Cour et celle de son frère et voilà que cette fille elle-même, par ses plaintes véhémentes, ses appels désespérés, allait les compromettre ! Il accueillit donc avec plus d’irritation que de pitié le récit de ses déboires conjugaux et lui enjoignit d’accepter une situation qui était celle de la plupart des princesses de l’époque. Mais Sophie-Dorothée n’était pas femme à se taire ;