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et au moment le plus critique de son existence, quand elle se sentait abandonnée par ceux qui lui devaient appui et protection, son mauvais génie lui apparut sous une forme chevaleresque, bien faite pour conquérir son imagination et son cœur.

Nous avons vu qu’enfant, la princesse de Hanovre avait joué dans les jardins de Celle avec un jeune Suédois, Philippe-Christophe von Königsmark, né en 1665, qui, s’il faut l’en croire, était resté amoureux de sa petite compagne. Cette passion, dont il se réclama plus tard pour attendrir Sophie-Dorothée, n’empêcha pas le comte Philippe de promener, à travers l’Europe, une vie d’aventures. Son frère, le comte Carl Jean, et ses sœurs, la comtesse Levenhaupt et Aurore, qui fut la mère du maréchal de Saxe[1], étaient, comme lui, plus doués de qualités brillantes que de sens moral : beaux et riches, ils adoraient les aventures, celles de Carl Jean en Angleterre sont célèbres[2]. Partout, du reste, à Londres, à Dresde, à Madrid et à Versailles, les Königsmark étaient fêtés, et l’arrivée du comte Philippe à la maussade petite Cour de Hanovre fit sensation. Il y fit, en 1688, un premier séjour ; mais, l’année suivante, il reparut, attiré peut-être par la princesse héréditaire qu’il trouva plus triste que jamais.

Le faste de Königsmark, et ses talens militaires, qui étaient réels, éblouirent le duc Ernest-Auguste : il le nomma colonel de ses gardes. Les jeunes princes devinrent ses amis et les Hanovriens s’émerveillèrent de la splendeur de ses équipages, du nombre de ses serviteurs et de l’éclat de ses fêtes. Quant à Sophie-Dorothée, elle accueillit avec plaisir le brillant étranger qui se déclara dès le début son chevalier servant.

Il y avait entre la princesse et le gentilhomme suédois de nombreuses affinités. Tous deux étaient raffinés et élégans dans un milieu lourd et grossier : le comte Philippe, d’une générosité prodigue, jetait l’argent sans compter, pour son plaisir et pour celui des autres ; la princesse aimait le luxe, mais d’une charité toute d’élan, elle était plus généreuse que réfléchie. Tous deux étaient des impulsifs, incapables de dissimuler leurs sentimens ; mais comme délicatesse et dévouement, la palme reste à Sophie-Dorothée.

  1. Le maréchal de Saxe, né à Dresde en 1696, était le fils naturel d’Auguste II, électeur de Saxe et roi de Pologne et d’Aurore de Königsmark.
  2. Il y fut accusé d’avoir fait assassiner un M. Thynne, dont il désirait épouser la femme, encore enfant, mais qui était la plus riche héritière de l’Angleterre. Le procès, qui excita une curiosité très vive, se termina par l’acquittement du Suédois.