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Le 1er juillet 1694, un dimanche, Königsmark reçut un mot, d’une écriture déguisée, le priant de se rendre le soir même chez la princesse au « Leine Schloss[1]. » Il n’hésita pas à obéir. Déguisé et sans armes, il fut admis par Eléonore de Kneseheck auprès de Sophie-Dorothée, qu’il n’avait pas vue depuis trois mois. Pendant que leur entretien se prolongeait fort avant dans la nuit, les espions de la Platen, chargés de surveiller Königsmark, allaient prévenir leur maîtresse, qui, à son tour, s’empressait d’avertir l’Electeur, de la présence du comte. L’Electeur, outré de cette audace, déclara qu’il allait lui-même surprendre les coupables ; mais la Platen le supplia de n’en rien faire et, toujours faible aux mains de cette femme impérieuse, il se laissa arracher un ordre écrit, où il enjoignait au commandant de sa garde de mettre quatre de ses hommes à la disposition de la comtesse. Dans la pensée d’Ernest-Auguste, il s’agissait simplement d’arrêter Königsmark, et le dénouement tragique de cette aventure lui fut infiniment désagréable. Faux et ambitieux en politique, dénué de sens moral dans sa vie privée, il n’était ni cruel, ni sanguinaire. La comtesse fit boire les hommes, puis, après leur avoir commandé le silence, elle les mena au « Rittersaal, » vaste pièce, à laquelle aboutissait le corridor qui desservait les appartemens particuliers de la princesse. Là, elle les dissimula dans l’angle d’une cheminée monumentale, qui existe encore, et leur donna pour consigne de s’emparer, mort ou vivant, du premier homme qui se présenterait. Assoiffée de vengeance, elle se retira dans la pièce à côté pour attendre sa proie. La visite de Königsmark se prolongea ; il fallut que la fidèle Knesebeck, plus inquiète que de coutume, le forçât à partir. Elle le conduisit jusqu’à la porte de l’appartement et le laissa s’engager seul dans le corridor dont il connaissait les issues. Il le parcourut en fredonnant une romance, entra dans le « Rittersaal, » plongé dans l’obscurité, y fut, en un

  1. Dans son procès, Sophie-Dorothée affirma que ce billet n’était pas écrit par elle, mais par la Platen qui voulait tendre un piège à Königsmark. D’autre part, Mme de Knesebeck reconnut que sa maîtresse avait ce jour-là un rendez-vous avec le comte Philippe, et il ressort de sa correspondance que la princesse déguisait souvent son écriture. Tout est mystérieux, du reste, dans ce sombre drame ; M. Wilkins le raconte en s’appuyant sur les dires des auteurs les plus sérieux et sur des traditions dignes de foi. Les dépêches de l’envoyé anglais à Hanovre, qui auraient pu éclaircir l’affaire, manquent, comme tous les documens officiels qui s’y rapportent, même les lettres de l’Électrice à la Palatine écrites pendant l’été de 1694, ont disparu.