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au paroxysme. Il avait été convenu qu’elle s’arrêterait à Herrenhausen pour y saluer ses beaux-parens, qui, entourés de leur Cour, étaient sur pied pour l’attendre. Ils l’attendirent en vain. Elle donna ordre à son cocher de brûler Herrenhausen, dont les grandes grilles étaient ouvertes pour la recevoir. Au galop de ses chevaux, elle rentra à Hanovre, s’enferma dans ses appartemens du « Leine Schloss, » suivie de la tremblante Knesebeck, et fit savoir qu’elle était malade. La famille ducale adopta avec empressement cette version, heureuse de voiler ainsi un acte de révolte inouï dans les annales de la cérémonieuse petite Cour.

À ce tournant critique de l’existence de la princesse, un peu de tact et d’indulgence de la part de son père aurait pu retarder ou, peut-être, éviter la catastrophe qui se préparait ; mais le duc de Celle, vieilli et fatigué, n’était plus qu’un instrument docile entre les mains de son ministre et de son frère. Les révoltes de sa fille et surtout ses demandes d’argent l’irritaient. Il s’inquiétait peu de l’état d’âme de son enfant et beaucoup des complications que son attitude rebelle pouvait lui attirer à lui-même. La duchesse Eléonore voyait plus loin : elle eût voulu garder sous son aile l’infortunée qui, entre sa répulsion pour son mari, sa colère contre son père et sa passion pour Königsmark, était prête à toutes les folies ; sa douloureuse impuissance , à ce moment suprême, où se jouait la destinée de son unique enfant, était pour cette mère si tendre la pire des tortures.


III. — LA CATASTROPHE

Quelques jours seulement après le retour de la princesse héréditaire, Königsmark eut l’insigne imprudence de revenir à Hanovre. A la suspicion qui s’attachait à lui, à cause de ses assiduités auprès de Sophie-Dorothée, se joignait maintenant l’indignation excitée par ses méchans propos ; mais il savait que la princesse était décidée à fuir et il s’agissait de combiner avec elle les détails de cette fuite.

L’intention de Sophie-Dorothée était formelle : elle voulait passer la frontière, obtenir un divorce, épouser le comte Philippe et vivre avec lui à l’étranger. Ses lettres, très nettes sur ces points, nous la montrent indifférente aux privilèges du rang qu’elle sacrifiait, toute dominée par la hantise de fuir son entourage.