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par conséquent que de deux chambres. Il y avait loin de ces pièces étroites et austères aux magnificences du « Schloss » de Celle ou même aux vastes appartemens du solennel « Leine Schloss » à Hanovre !

Si ces murs pouvaient parler, ils nous diraient les angoisses et les révoltes de cette femme de trente-deux ans, ensevelie toute vivante dans ce manoir solitaire ! Plus encore que l’étroitesse des murs, le régime moral de sa prison lui fut une souffrance intense et la sévérité excessive de ce régime est inouïe. La Cour de Hanovre craignait ses revendications, et, pour les empêcher, on trouvait utile de l’exclure du monde des vivans.

Rien de plus monotone que son existence quotidienne. Il lui était interdit de se promener à pied ailleurs que dans l’étroit jardinet, semblable à une cour de prison et, quand elle sortait en voiture, elle n’avait le droit de suivre qu’une seule route, celle de Hayden. Un pont de pierre à 5 kilomètres d’Ahlden indique encore la limite qu’elle ne put jamais franchir. Quand le temps était beau, elle conduisait elle-même un cabriolet, et les paysans étonnés la voyaient passer, des diamans dans les cheveux, parcourant, avec une vitesse folle, les cinq kilomètres qu’elle ne pouvait dépasser.

Le souvenir de la mystérieuse dame du château, si belle et si triste, est encore légendaire dans la contrée !

En sa qualité de « duchesse d’Ahlden, » elle administrait, par l’entremise d’un homme d’affaires, un territoire assez considérable et, avec le temps, elle s’intéressa aux pauvres du village, dont elle soulageait généreusement les infortunes. Mais tout ce qui pouvait servir de dérivatif à son exubérance de vie lui était cruellement refusé ; une ou deux fois par an, seulement, on lui permettait de recevoir, en présence du gouverneur, les habitans du territoire d’Ahlden et leurs enfans qu’elle comblait de cadeaux.

Bien qu’entourée de certaines formes de respect, elle était, en réalité, étroitement surveillée. Son service d’honneur se composait d’une ou de deux dames, de deux gentilshommes et de deux pages ; elle avait, de plus, une trentaine de serviteurs, hommes et femmes, parmi lesquels étaient des espions empressés à rapporter et à dénaturer ses moindres actes. Toute sa correspondance passait sous les yeux du gouverneur, et, pendant les quatre premières années de son séjour à Ahlden, on l’empêcha de voir