Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 49.djvu/373

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sa mère ! Les adoucissemens accordés aux pires criminels étaient refusés à cette lamentable victime de la « raison d’Etat. » Malgré les drames de sa vie, elle gardait son amour de la parure. Une vieille femme employée au château, qui mourut en 1800, racontait qu’elle portait des toilettes splendides et que des diamans étincelaient dans ses cheveux d’un noir de jais !

La plupart des papiers de la prisonnière ont été détruits : il est donc difficile de pénétrer la psychologie de cette âme ardente pendant, les longues années de sa morne agonie ! Au début, alors que ses réclamations avaient le plus de chances d’aboutir, la captive parut, par politique, se soumettre à sa destinée. Quand, enfin, elle voulut rompre le cercle de fer qui l’enserrait, le silence s’était fait autour d’elle, le fait accompli était accepté. Pour empêcher chez elle toute velléité de révolte, on lui avait persuadé, au moment du divorce, que, par sa soumission, elle pourrait désarmer le ressentiment de son père, et sa mère elle-même lui conseillait cette politique. Elle la suivit si docilement qu’un incendie ayant éclaté une nuit dans ses appartemens, elle refusa de sortir du manoir sans un ordre signé du gouverneur ; on la vit, son coffret à bijoux dans les bras, parcourir le corridor, folle de terreur, en attendant l’autorisation demandée.

Trois ans après son arrivée à Ahlden, en janvier 1698, l’Electeur Ernest-Auguste mourut et Georges-Louis monta sur le trône de Hanovre. Il se montra dur pour la comtesse Platen, qui quitta la Cour, et pour sa propre mère, qu’il relégua à Herrenhnusen. La vieille Electrice accepta cette humiliation comme toutes celles de sa longue vie, avec une philosophie sceptique, se consolant par la pensée qu’entre elle et le trône d’Angleterre, la distance avait, dans ces dernières années, singulièrement diminué[1]. Elle n’avait avec son fils aîné qu’un sentiment commun ; une haine irréductible pour la prisonnière d’Ahlden.

Quatre années de solitude absolue avaient brisé l’orgueil de Sophie-Dorothée. Ce n’était plus la révoltée qui, au lendemain de la mort de Königsmark, affirmait que tout lui était égal pourvu qu’elle rompît avec une famille détestée ; sortir de prison était devenu son idée fixe ! Le 29 janvier 1698, quelques jours après la mort de son beau-père, elle écrivit au nouvel Electeur une lettre très humble, où elle exprime, avec son profond repentir,

  1. Par la mort en bas âge des nombreux enfans de la reine Anne.