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fut donné par elle en 1721. Elle écrivait beaucoup de lettres à sa mère, à ses hommes d’affaires, à ses rares amis et aussi de volumineux mémoires qui furent, après sa mort, saisis et brûlés par le gouvernement du Hanovre. Pendant quelques années, elle entretint même une correspondance secrète avec la jeune reine de Prusse. Elle semble avoir fondé des espérances sur l’intervention de sa fille. Celle-ci promet de faire son possible, conseille la patience, envoie des cadeaux ; le roi de Prusse, au courant de tout, ferme les yeux, désireux de ménager une belle-mère qui était une des princesses les plus riches de l’Europe.

En 1722, mourut la duchesse de Celle, cette Française dont l’extraordinaire élévation fut payée par tant de larmes ! Pour la prisonnière, ce fut une irréparable perte : les visites de sa mère étaient l’unique rayon de soleil de sa pauvre vie. Par son testament, la duchesse de Celle laissa à son unique enfant la fortune et les propriétés considérables qui lui venaient de son époux, plus les terres du Poitou, lointain et modeste héritage de sa famille française.

La mort de sa mère, qu’elle ne put assister à ses derniers momens, enleva à Sophie-Dorothée sa meilleure amie et son seul soutien. Ce deuil eut-il pour effet d’augmenter encore son désir passionné de briser ses chaînes ? On pourrait le croire en voyant la ténacité avec laquelle elle se cramponnait à l’idée de quitter Ahlden ! Elle mettait de côté des sommes d’argent considérables, destinées à s’assurer la connivence de son entourage ; mais autour d’elle il y avait des traîtres, qui faisaient semblant d’entrer dans ses vues, prenaient son argent, et la gardaient, sans rien tenter pour sa délivrance.

En 1725, la malheureuse princesse vit se lever, sur le ciel si terne de son existence, une espérance qui l’illumina. La jeune reine de Prusse lui fit savoir qu’elle devait se rendre à Hanovre pour y saluer son père, le roi Georges, et elle promettait de pousser jusqu’à Ahlden. La recluse, plus seule que jamais depuis la mort de sa mère, fut hors d’elle à la pensée d’embrasser sa fille. Elle s’habilla avec plus de soin que de coutume et, pendant plusieurs jours, resta assise près de la fenêtre qui dominait la plaine, les yeux fixés sur l’horizon, d’où devait surgir le cortège royal. Rien ne vint ! Le roi de Prusse, pour ne pas irriter son beau-père, avait interdit à sa femme de voir sa mère !