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Cette suprême déception terrassa Sophie-Dorothée. Jusque-là, sa nature si vivante s’était raidie contre le malheur ; l’abandon de sa fille anéantit ses espoirs terrestres !

Au moment où tout lui manquait, Dieu eut pitié d’elle. Dans les lettres écrites la dernière année de sa vie, se trouvent des passages où elle parle de la « grâce toute-puissante, » qui donne la paix du cœur malgré les tempêtes du dehors ; de la force et du courage, qui augmentent à mesure qu’augmente la peine. Ce Dieu, vers lequel monta son âme désolée, vint à son secours et, plus miséricordieux que les hommes, il brisa ses fers.

Dans l’automne de 1726, la « duchesse d’Ahlden » tomba malade. Au début de sa maladie, elle écrivit une seule lettre, mystérieuse et solennelle, qu’elle remit entre des mains sûres. Puis, le délire la prit, délire effrayant qui glaça d’épouvante les assistans. Toute l’amertume qui, depuis trente-trois ans, s’amassait dans cette âme s’exhala en paroles passionnées. Elle s’était tue par politique d’abord, puis par fierté, ensuite peut-être par religion. Au dernier moment, la raison ayant perdu son empire, le flot, longtemps comprimé, déborda. Ni son fils, le prince de Galles, ni sa fille, la reine de Prusse, n’étaient là ; mais les ministres de Hanovre, les grands fonctionnaires de la Cour, les médecins, étaient accourus et, tremblans d’une terreur superstitieuse, ils écoutaient les dénonciations par lesquelles la mourante appelait sur leur maître la vengeance divine !

Enfin, le 13 novembre 1726, par un jour triste et sombre quand les brumes, montant des marécages, enveloppaient Ahlden comme d’un linceul, Sophie-Dorothée, princesse héréditaire de Celle, Electrice de Hanovre, et, aux yeux du plus grand nombre, reine légitime d’Angleterre, d’Ecosse et d’Irlande, prisonnière depuis trente-trois ans, rendit le dernier soupir. Elle avait soixante et un ans.

A partir du jour où le prince de Waldeck vint lui annoncer la mort de sa femme, Georges Ier, superstitieux à l’excès, fut hanté par des terreurs sans nom ; mais la peur ne chassa pas la haine et, d’après ses ordres, le cercueil de sa victime fut enterré dans l’étroit jardinet du manoir d’Ahlden.

Cinq mois plus tard, arrivèrent d’Angleterre de nouvelles instructions d’après lesquelles la dépouille de Sophie-Dorothée devait être transportée la nuit, en cachette, à l’église de Celle, où