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l’infortunée, retranchée de sa famille durant trente ans, repose aujourd’hui parmi ses ancêtres.

Un mois plus tard, le 3 juin 1727, Georges Ier partit de Londres pour visiter son duché de Hanovre. Le 9 juin, au moment où il quittait Halden, sur la frontière de Hollande, un inconnu jeta une lettre dans son carrosse. Le Roi brisa l’enveloppe d’une main indifférente. Tout à coup, ses compagnons le virent trembler, sa figure se congestionna, il tomba en avant sans connaissance, laissant échapper la lettre, où sa victime le citait à comparaître devant le tribunal de Dieu, avant que l’année fût révolue !

Le cortège royal s’arrêta aussitôt ; on saigna le malade qui reprit ses sens ; mais il refusa de se donner même un jour de repos et ordonna de marcher à toute vitesse jusqu’à Osnabrück. Postillons et cavaliers partirent, bride abattue. Le Roi, les traits hagards, les yeux fous, penché à la portière, criait d’une voix stridente : « A Osnabrück ! à Osnabrück ! » Vers dix heures du soir, on gagna la petite ville. En descendant de voiture devant le palais, Georges Ier perdit connaissance de nouveau. Cette fois, on appliqua en vain les remèdes d’usage : à minuit, il expira dans la même chambre où, soixante-sept ans plus tôt, il était venu au monde.

Jamais peut-être homme fut moins regretté que le premier roi de Grande-Bretagne, de la dynastie de Hanovre. Personne, ni dans son duché allemand, ni dans son royaume d’outre-mer, ne pleura ce prince sombre, taciturne, avare et cruel. Les Stuarts avaient leurs vices, mais voilés sous des formes brillantes ou débonnaires ; chez Georges Ier, la forme était aussi déplaisante que le fond était pervers.

Quelle eût été l’attitude de Georges II envers sa mère, si elle avait survécu à son bourreau ? il est difficile de le deviner. On sait seulement qu’à son premier voyage en Hanovre, le fils de Sophie-Dorothée se fit apporter les documens secrets du procès de divorce et les lettres saisies chez Königsmark. Walpole prétend qu’il avait l’intention, si sa mère avait vécu, de lui rendre non seulement sa liberté, mais son rang de reine d’Angleterre ; d’après d’autres témoignages, il ne prononça jamais son nom et il est de fait qu’il ne fit rien pour justifier sa mémoire. L’âge, le temps, les soucis et les plaisirs de la royauté avaient éteint en lui cette flamme chevaleresque, qui jadis l’avait poussé, adolescent,