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l’ignorance la plus crasse et dans l’immoralité la moins idyllique. Les hommes ressemblaient à leurs montagnes, âpres comme elles, peinant dans la neige l’hiver, sous un implacable soleil l’été, et leurs traits accentués et énergiques ne se coloraient que pour de barbares réjouissances : « Le peuple, lit-on dans la Relation d’un voyage fait à Alet en 1669 par deux ecclésiastiques, le peuple dans le Capsir est tout espagnol, et ne reçoit qu’à contre-cœur les impôts, ce qui fit tuer, comme nous étions à Alet, un de nos commis par un de ce pays, à qui quelqu’un voyant deux mousquets, savoir le sien et celui du commis qu’il avait mené à la chasse, et ayant demandé à qui l’un était, il répondit avec une gravité espagnole qu’il venait de mater un garvagé, c’est-à-dire de tuer un coquin de Français. » Et un peu plus loin : « L’official d’Alet fut abordé par un de ces Capsirois, qui vint lui faire de grandes plaintes de son recteur, sur ce qu’il lui avait refusé l’absolution. Ce sage official, entrant entièrement dans ces sentimens, découvrit alors toute l’affaire, et le Capsirois lui avoua que c’avait été pour meurtre, mais qu’il se moquait de lui, que pour la première fois qu’il l’avait refusé, il lui pardonnait ; car il tombait d’accord d’avoir passé (à la confession) ayant tué treize hommes, mais qu’ayant en charge de s’amender, il lui avait promis l’absolution, s’il le faisait, et que cependant, après l’avoir fait, il ne la voulait pas accorder. Et il prouvait invinciblement qu’il l’avait fait, puisque, depuis ce refus jusqu’à présent, il n’en avait tué que six et qu’il s’était amendé de plus de moitié. »

Très pauvres, harcelés par une noblesse rurale à peine plus civilisée qu’eux-mêmes, se consumant et se dévorant en procès, accablés, à cause des guerres sur la frontière catalane, par le logement de gens de guerre à demi bandits, volés par les étapiers, accablés plus encore par le fisc, et cyniquement exploités par leurs représentans aux assiettes, ces malheureux vivaient, comme les sangliers de leurs forêts, dans une misérable promiscuité. À peine un lit ou deux au plus par cabane, et la nuit toute la famille sur le même grabat. Absence complète d’écoles dans les villages. Aussi ces pauvres gens étaient-ils la proie des superstitions les plus grossières. Devins et sorciers pullulaient dans le pays. « Une fois l’hiver, dit la Relation précitée, l’évêque ayant su par un envoyé exprès qu’au sommet de la montagne on tenait en prison un nombre de femmes qu’on