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partie de leur temps à la chasse de l’ours et du sanglier. Besogneux en général, ils étaient constamment vexés par cette noblesse rurale, qui avait toute la rapacité sordide du terrien pauvre et d’autant plus impitoyable, qui affermait le plus souvent de force et à un taux dérisoire les dîmes et les revenus de la cure, quand elle ne trouvait pas plus simple de les usurper.

Pour achever le tableau, des réguliers étrangers au diocèse et, en particulier, les capucins de Limoux et de Chalabre étaient, à défaut de prêtres instruits et recommandables, les vrais maîtres spirituels du diocèse d’Alet. Ils en parcouraient incessamment les campagnes, mendiant les aumônes que les paysans ne leur refusaient jamais. Ils étaient les prédicateurs ordinaires des églises du diocèse, et les missions très nombreuses qu’ils y donnaient, étaient, sinon très avantageuses pour le curé du lieu obligé de les nourrir et de les héberger, ou même pour l’avancement de la religion, qui ne profitait guère de leurs déclamations forcenées, du moins très précieuses pour leur ordre. Ils trouvaient dans les gentilshommes des campagnes, tyrans des paysans et des prêtres séculiers, des protecteurs tout naturels ; car ceux-ci redoutaient les foudres de Dieu que méritaient pleinement leurs vices de tout genre, mais pensaient qu’il était des accommodemens même avec les foudres éternelles, et que les capucins de Limoux ou de Chalabre possédaient un moyen infaillible de les dévier et de les conjurer. Aussi nos révérends pères étaient-ils choyés dans toutes les gentilhommières de la contrée.

Tel était donc l’état d’âme du diocèse d’Alet en 1639, au moment de l’installation de Nicolas Pavillon. On voit qu’à vrai dire il n’avait pas religieusement d’âme du tout, ou qu’en tout cas cette âme était fort rudimentaire. Nous allons assister aux généreux efforts de l’évêque pour lui en créer une, et aux résistances que le diocèse va lui opposer.


II

A peine arrivé à Alet et installé dans une mauvaise chambre sans feu tout en haut de la maison épiscopale. Pavillon se met à l’œuvre. Il prend dès le premier jour la résolution de ne jamais quitter son diocèse, et il devait y rester fidèle jusqu’à sa mort. Mais la résidence scrupuleuse n’est pour un évêque