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Béatitude, » selon un mot de l’archevêque de Toulouse M. de Bourlemont, à Colbert, et fatigués apparemment de sa justice, se plaignaient « des poursuites qui se faisaient toujours à Paris » et défendaient au syndic « à peine de destitution de sa charge » d’employer aucune somme « pour les frais de séjour à Paris du sieur Vincent Ragot, » le promoteur de l’évêché, à qui l’assiette d’Alet avait, l’année précédente, voté à cet effet une indemnité de 1 200 livres. Pavillon, le seul homme désintéressé au milieu de ces habiles et de ces politiques du Parlement, des Etats et de la Cour, et le seul vraiment pitoyable « au pauvre peuple » dans ce coin de la France, devait mourir sans avoir obtenu des pouvoirs publics pleine satisfaction et complète justice pour ses misérables montagnards rançonnés de tous les côtés. Il est vrai qu’évêque chrétien jusqu’au bout, il allait, dans les dernières années de son épiscopat, venir en aide aux veuves et aux enfans des deux frères Aosthène, morts dans la gêne après la démission de leurs charges, et couronner sa droiture par sa bonté. Il est vrai aussi que son éminente vertu allait trouver sa récompense dans la reconnaissance d’un grand nombre d’âmes simples, et jusque dans la légende spontanée qui, sortie de la conscience populaire, garde encore, après deux siècles, au fond des Corbières, son rustique tombeau.

Mort, en effet, quelques années plus tard, le 8 décembre 1677, Nicolas Pavillon, au jour même de sa fin, apparut à ses ouailles, comme un prélat de ces âges lointains où, toute la cité étant dans l’église, la cité elle-même semblait s’écrouler, quand disparaissait l’évêque, son défenseur. On vit bien alors ce qu’il était pour ces pauvres gens, et la gratitude un peu superstitieuse qu’ils lui avaient vouée. Ecoutons un témoin oculaire ; « Le corps étant lavé, nous le revêtîmes des habits pontificaux, et ensuite on l’exposa sur son lit de campagne dans la salle où, incontinent après, toute la ville accourut, les uns lui faisant toucher leurs chapelets, les autres des livres de prières, les autres des mouchoirs, et on était fort en peine qu’on ne déchirât ses habits pontificaux. Le lendemain, on le porta en l’église cathédrale, qui ne pouvait contenir tout le monde qui y était abordé des environs. J’eus le déplaisir de ne pouvoir entendre la plupart de l’oraison funèbre, à cause du bruit que faisait la foule du peuple, qui était si grande et si pressée, que plusieurs personnes tombèrent en pâmoison. Après l’oraison funèbre, la