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presse s’augmenta encore pour rompre les balustres du chœur, et se jeter sur le corps qu’on y avait mis près de l’autel, de sorte qu’il fallut, pour arrêter la foule et ôter à ses yeux l’objet qui excitait sa dévotion, le renfermer à clef dans la chambre du chapitre. Mais ce moyen ne dura pas longtemps à cause de l’importunité de ceux qui criaient et qui frappaient à la porte. On résolut de l’exposer dans la sacristie environne d’ecclésiastiques et de permettre qu’on lui baisât les mains et les pieds... Enfin l’on porta le corps au cimetière avec beaucoup de peine, et on ne put pourtant empêcher qu’on ne déchirât ses habits pontificaux, et on le mit au pied de la croix, comme il l’avait ordonné... Le lendemain de l’enterrement, il arriva encore beaucoup de monde des lieux les plus éloignés, qui se plaignait qu’on l’ait enlevé si tôt, et qui, ne pouvant faire autre chose, allait se jeter à genoux sur son tombeau. »

L’évêque repose toujours, depuis deux siècles, dans le petit cimetière du village, auprès de la croix de pierre noircie par le temps, sous une dalle de granit à demi recouverte par les hautes herbes. Il est devenu, après sa mort, le simple curé de campagne, qu’il aurait voulu être pendant la vie. Mais encore aujourd’hui, après tant et tant d’années, les paysannes d’Alet, a qui les récits de veillée ont transmis cette grande mémoire, viennent mystérieusement, — comme l’eût fait peut-être Mme de Longueville qui, la première, propagea les miracles de M. d’Alet, — prendre un peu de la terre moussue, qui entoure la vieille pierre, et la conservent pieusement, ainsi qu’une relique : sa tombe porte bonheur, disent-elles en leur expressif langage. Sans doute lui, si sensé à la fois et si humble, si rigoureux surtout en fait de miracles, protesterait, s’il pouvait être entendu, contre cette canonisation irrégulière ; mais qu’il vive après si longtemps dans le souvenir de ces petits et de ces humbles, et qu’il leur apparaisse un peu plus et mieux encore qu’un saint du calendrier, n’est-ce pas le plus bel éloge de son tutélaire apostolat ?


ETIENNE DEJEAN.