Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 49.djvu/421

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

haouchs ou grandes fermes, même des propriétés qui ne leur appartenaient pas : biens des mineurs, des absens, des femmes, immeubles domaniaux et séquestrés, et leur entraînement à vendre n’avait d’égal que celui de l’Européen à acheter. Le bruit de ces marchés merveilleux n’ayant pas tardé en effet à se répandre, des nuées de spéculateurs étaient accourus pour acheter, comme ils disaient, l’Afrique à bon marché. De riches propriétaires français ne pouvant pas se déplacer et ne voulant pas manquer l’occasion donnaient des ordres à leurs agens d’affaires. Les Juifs servaient, en l’occurrence, d’intermédiaires auprès des musulmans. Devenus courtiers d’immeubles, ils se mettaient à la piste de tous les indigènes en possession de propriétés, de tous ceux qui avaient quelques droits ou quelques titres à produire. Ces titres étaient souvent faux et ne mentionnaient jamais les limites exactes. Telle propriété n’exista jamais que sur le papier ; telle autre était indiquée comme contenant des milliers d’hectares et en avait une centaine au plus. Dans leur hâte, les uns à vendre, les autres à acheter, indigènes et Européens n’y regardaient pas de si près, et les cadis musulmans, qui remplissaient les fonctions de notaires, se prêtaient, avec la plus grande complaisance, à toutes les transactions. L’exagération des contenances spécifiées dans les actes fut poussée à un tel point qu’on a calculé que les indigènes vendirent alors une quantité de terres supérieure à dix fois la totalité de la terre existant dans la partie de l’Algérie soumise à notre domination. L’entraînement des gens du pays à se dépouiller de leurs biens fut tel que le gouvernement dut y mettre un terme et couper le mal dans sa racine. Le 31 mai 1832, le commandant en chef de l’armée d’occupation prit un arrêté pour interdire ces ventes. D’autres arrêtés, en 1833, 1836, 1837 et 1842 renouvelèrent les mêmes prohibitions. Un autre en date du 12 mars 1844 déclara qu’à l’avenir, toutes les transactions immobilières ne seraient permises que sur les territoires livrés à la colonisation, lesquels furent limités à la banlieue d’Alger, d’Oran, de Bône, de Cherchell, de Philippeville et de Mostaganem. Enfin, l’ordonnance du 15 avril 1845 divisa au point de vue de ces transactions l’Algérie en trois zones : le territoire civil, le territoire mixte et le territoire arabe. Le territoire civil fut le seul où les ventes furent déclarées libres ; les Européens ne purent acquérir et vendre des immeubles dans le territoire mixte que dans les limites déterminées par le ministre de la Guerre