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considère l’aventure de sa fille comme une catastrophe, on essaie bien de lui faire croire que le séducteur ne demande qu’à réparer. Mais c’est une éventualité sur laquelle Yvonne n’a plus d’illusion. Elle s’en explique avec son frère. Et dès les premiers mots qu’elle prononce, nous goûtons la saveur très particulière de son langage. Nous en avons vu beaucoup de filles-mères, au théâtre. Nous avons encore dans les yeux l’air de détresse de leur visage et dans les oreilles le bruit de leurs lamentations. Admettons que l’expression de leur douleur eût été quelque peu dramatisée pour les besoins de la scène. C’était pourtant la note humaine et vraie. Que peut faire une malheureuse qui vient d’être abandonnée, sinon maudire celui qui l’a trahie, et trembler devant l’avenir qui l’attend ? C’est avec une absolue tranquillité d’âme qu’Yvonne Janson nous conte son affaire. A quoi bon se plaindre, récriminer et se frapper l’imagination ? L’important est de se débrouiller... — Et nous mettrions notre main au feu que, depuis qu’il y a des filles-mères et qui sont « lâchées, » aucune n’a jamais pris les choses avec cette allégresse.

Ce n’est rien encore : toute l’originalité du personnage va éclater dans la scène principale, et qui remplit l’acte à peu près en entier, celle qui met en présence Yvonne et M. Salvière. Ce M. Salvière est le cousin du séducteur : il vient d’apprendre l’affreuse conduite du jeune drôle ; tout de suite, accompagné de sa femme, il est accouru. Nous avons affaire ici à des gens très bien. Salvière est un monsieur important, écrivain de grand talent, qui joue avec dignité le rôle honorable de « directeur de la jeunesse » et prononce dans les banquets des discours tout pleins d’appels à l’énergie. Il a quarante-cinq ans ; c’est un excellent mari ; il représente l’ordre et la morale. Il est révolté dans son honnêteté, affligé dans son cœur de brave homme par la mauvaise action commise tout près de lui. Le voici, très sincèrement bouleversé, avec la mine spéciale et les sentimens assortis qui conviennent quand on va tomber en plein drame.

Vous est-il arrivé, au cours d’une visite de condoléances, de trouver les gens déjà consolés, et de rentrer des phrases dont la préparation vous avait coûté quelque peine ? C’est une « déception » de ce genre qu’éprouve Salvière. Il s’attendait à de la douleur, à de la colère. Il est reçu par une jeune fille très libre d’esprit, souriante et qui lui récite, en fine diseuse, des fables de La Fontaine. Il est abasourdi : nous sommes nous-mêmes un peu déconcertés. En vérité, cette petite Yvonne a été extraordinairement prompte à régler son