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« cuisinée, » à bout de patience, jette dans une minute d’exaspération l’aveu redouté : « Eh bien ! oui, ce qu’on a insinué est vrai. Je suis la maîtresse de M. Arnault. » Stupeur. Reproches. Malédictions. MM. de Magny père et fils écrasent la coupable de leur mépris. Mais alors, Odette, qui est restée muette pendant ces minutes d’affolement et de vociférations, rompt le silence. Ce qu’elle va dire ne peut manquer de prendre une autorité toute particulière. Car elle est celle qui s’est sacrifiée pour le bien de tous, la sainte et l’ange de la famille : elle est le lys. Or, l’arrêt qui tombe de ces lèvres immaculées, c’est l’approbation donnée aux écarts joyeux de Christiane. « Tu as eu raison ! » Telle est son opinion. Il n’y a, comme on sait, que le premier mot qui coûte : si Odette s’est tue longtemps, elle se dédommage. Ah ! elle ne le leur envoie pas dire, à son père, à son frère et à tous ceux de leurs pareils qui se pavanent dans leur égoïsme et dans leur hypocrisie. Pour cette billevesée d’être le chef d’une famille honorée, son père l’a empêchée de connaître les joies de l’amour. A l’ambition de son frère et à ce calcul qu’il faisait de pouvoir s’allier un jour à une famille riche, elle a immolé les désirs dont elle sentait frétiller tout son être. Et maintenant on trouve que ce n’est pas assez d’une malheureuse dans la famille ! On voudrait que Christiane, elle aussi, eût renoncé à des satisfactions qui sont naturelles au point d’être exigées par l’instinct ! Allons donc ! Qu’elle en prenne au contraire, tant et plus, pour elle et pour sa sœur qui en a été privée. Elle a droit à double ration... Odette est lancée : rien ne l’empêchera d’aller jusqu’au bout. Quand elles sont dans cet état-là, il est clair qu’on essaierait vainement de les arrêter : il faut que la crise se passe.

Au dernier acte, dans le décor voluptueux de Sorrente, Christiane et son peintre font l’amour, tandis qu’Odette, dans l’ombre, les contemple d’un œil d’envie. Ce dernier acte est aussi inexistant que les deux premiers étaient longs et ennuyeux. En vérité, il n’y a que l’explosion du troisième acte. Dirai-je que je l’ai trouvée plus déplaisante ou plus comique ? Une vieille fille à qui sa virginité remonte au cerveau... fi donc ! mademoiselle, est-ce qu’on raconte ces choses-là devant le monde ?

Mme Suzanne Desprès (Odette) a été excellente de lassitude ennuyée et d’emportement trivial. Mlle Madeleine Lély (Christiane) a eu tour à tour de la grâce et de l’émotion. Et le jeu triste de M. Lérand fait merveille dans le rôle du père qui a le malheur d’avoir de telles filles !


RENE DOUMIC