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parmi cette soudaine intrusion d’hommes et de bêtes, pour pouvoir continuer à regarder l’Enfant miraculeux. Le roi qui s’est agenouillé, vêtu d’un splendide habit de brocart sous un manteau à fleurs, a déposé à terre sa couronne, afin de permettre à Jésus de le caresser. Près de lui, l’un de ses deux compagnons, penché respectueusement, s’apprête déjà à ôter la sienne, en même temps qu’il fait voir le calice qu’il a apporté ; et voici enfin le troisième Mage, debout dans une robe qu’on dirait tissée et brodée avec du soleil, — un jeune prince plus beau que tous ceux qu’on rencontre dans les contes de fées, avec un délicieux visage féminin où la vénération se mêle d’une ombre rêveuse de mélancolie, comme si ce troisième roi venait, expressément, offrir au Maître du monde l’hommage éternel de la poésie et de la beauté ! Il occupe, d’ailleurs, le centre de la scène, qu’il parfume et transfigure, toute de sa claire présence ; et après lui, dans l’autre moitié du tableau, un spectacle se montre à nous tel que jamais encore, jusqu’à l’œuvre de Gentile, la peinture n’en avait conçu ni tenté de pareil. Derrière les trois rois, leur nombreuse escorte attend de pouvoir, à son tour, adorer le petit Sauveur. A genoux derrière le jeune Mage, un valet s’emploie à le débarrasser de ses éperons ; et le cheval de ce Prince Charmant est là, et aussi son chien, tous deux clairs, élégans, princiers comme lui. Voici des gentilshommes, ministres ou intendans, debout en des altitudes gravement recueillies, sous les vives couleurs de leurs riches turbans ; et puis des écuyers refrénant l’impatience de chevaux qui s’agitent ; et puis encore voici des bêtes et des oiseaux de toutes les espèces, chameaux et guépards, petits singes malins s’essayant à des tours qu’ils vont répéter devant leur futur maître, faucons solennellement perchés sur des mains solennelles. Et autant la partie religieuse du tableau est calme et sereine, avec une douce harmonie toute limpide dans ses lignes, sous de larges accords de tons apparentés, autant l’autre partie est active, mobile, d’un rythme précipité et complexe parmi les mille nuances de son modelé : mais sans que ce contraste des deux moitiés enlève rien à l’ensemble de sa réalité pittoresque, ni de l’étonnante puissance d’émotion poétique qui s’en exhale pour nous depuis près de cinq siècles.

Le second plan est occupé par un ample paysage montueux et boisé, ménagé avec un art admirable pour donner un éloignement très profond aux scènes qui remplissent l’arrière du tableau. Et là, dans les trois demi-cercles que dessine le cadre, à une distance infinie de l’Adoration que nous venons de voir, trois autres scènes nous