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trouvent unis d’un lien qu’accentue encore, d’un sujet à l’autre, l’identité parfaite des figures et des accessoires, de telle sorte qu’il n’y a pas jusqu’aux deux singes, au guépard, et au faucon de l’image principale qui ne reparaissent dans les trois épisodes des « lunettes » du haut ; et j’ai dit tout à l’heure qu’un lien analogue rattache également, à l’Adoration, les trois charmantes « histoires » de la prédelle, où Marie, l’Enfant, Joseph, et les deux jeunes suivantes, et même le bon petit âne gris aux oreilles pointues, continuent à jouer devant nous — comme autant d’acteurs passant de scène en scène, — l’émouvant « mystère » sacré de l’enfance d’un Dieu.


Aucun document ne nous renseigne sur l’accueil qu’a reçu, à Florence, cette manifestation d’un idéal nouveau. Vasari, en particulier, toujours prêt à rapporter les légendes les plus fantaisistes lorsqu’elles ont pour héros un maître florentin, se borne ici à nous dire que Gentile « a peint une histoire des Mages où il s’est figuré soi-même au naturel. » Mais si l’on veut se rendre compte de tout ce que l’œuvre du peintre ombrien, par sa seule composition, révélait d’inconnu et d’inappréciable aux artistes parmi lesquels un heureux hasard l’avait fait surgir, il suffit de jeter un coup d’œil sur diverses représentations florentines de l’Adoration des Mages, exécutées environ vers la même date. Que l’on regarde, par exemple, au musée des Offices, les tableaux d’Agnolo Gaddi et de Lorenzo Monaco, ou bien encore, à l’Académie, la partie inférieure d’un petit tableau de fra Angelico dont le dessus nous montre un Christ sortant de sa tombe ! Non seulement on y chercherait en vain les délicieuses abondance et variété pittoresques de la peinture de Gentile ; non seulement le paysage y reste réduit à un banal décor de roches en carton, avec parfois la masse rudimentaire d’un mur ou d’une tour servant à faciliter la perspective : mais ces maîtres florentins ne savent pas même encore « humaniser » et rendre vivante la scène évangélique qu’ils prétendent traiter. Le groupe de la Vierge et de l’Enfant, chez eux, ne se relie point à celui des Mages : c’est comme si l’adoration de ces derniers s’adressait à des êtres inaccessibles, raidis dans la froide atmosphère de leur divinité. Une dizaine de figures plus ou moins habilement dessinées, mais dont on sent que chacune a été conçue et exécutée séparément : et puis maintenant, tout à coup, au lieu de cet art immobile et mort, la vie rapide et frémissante de l’œuvre de Gentile de Fabriano, cette immense réunion d’hommes et de bêtes, de villes, de palais, de montagnes fleuries, tout cela intimement fondu en un même ensemble,