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superficielle. Aujourd’hui encore, dans ce musée dont elle est l’un des chefs-d’œuvre les plus renommés, l’Adoration des Mages nous frappe aussitôt comme un produit exotique, où nous ne retrouvons ni le même sentiment, ni la même langue que dans l’ensemble des œuvres indigènes. Mais c’est que le maître ombrien et ses confrères de Florence ont toujours, instinctivement et irrésistiblement, conçu de deux façons différentes la destination de la peinture ; et eussent-ils traité les mêmes « histoires » en y employant les mêmes figures dans les mêmes sites, que nous continuerions encore à sentir un abîme entre leurs ouvrages, par delà toutes les ressemblances des sujets et du style.

Car il y a toujours eu et toujours il y aura deux manières opposées de comprendre le but de la peinture, comme aussi de la sculpture et de la musique, et de tous les arts. Ou bien l’on peut désirer que ceux-ci nous étonnent, en nous forçant à reconnaître le talent, ou la science, ou l’originalité de l’artiste ; ou bien on peut demander simplement qu’ils nous amusent, en fournissant à nos yeux ou à nos oreilles la plus grande somme de plaisir dont ils sont capables. Or, de tout temps, c’est la première de ces deux conceptions qui s’est naturellement imposée au génie florentin : avec une conscience réfléchie de sa force, de tout temps ce génie a prétendu se suffire à soi-même, sans avoir besoin d’autre chose, pour s’assurer notre admiration, que de se déployer librement dans toutes ses ressources. La poursuite de la « vérité, » telle qu’il se savait apte à la traduire, lui a paru pouvoir se passer de l’attrait supplémentaire de la « beauté ; » et pourvu qu’un peintre, par exemple, réussît à modeler des figures d’un relief parfait, avec des muscles savamment répartis et des difficultés de perspective ingénieusement résolues, il ne lui importait guère, après cela, que le coloris de sa peinture fût plaisant à voir, ni que les traits et l’expression des visages, et tout l’ensemble de la composition, procurassent aux yeux cette caresse sensuelle que, probablement, il méprisait fort, faute de la ressentir dans ses propres yeux. Et, au contraire, les vieux maîtres ombriens dont je parlais tout à l’heure, ces pauvres colorieurs anonymes qui chantaient obscurément les louanges de la Vierge ou des Saints sur les murs de l’église de leur village, ceux-là, non plus que leur compatriote et ami saint François, ne se préoccupaient point de paraître savans.ni de montrer que personne ne les égalait en vigueur de main ; leur unique souci était d’émouvoir le plus agréablement qu’ils pourraient les pieuses âmes de leurs concitoyens, et puis sans doute d’honorer la cour céleste en la revêtant