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de toute la beauté de forme et de couleur qui leur était possible. Ainsi avaient fait, à Fabriano même, les deux principaux devanciers de Gentile, Allegretto Nuzi et Francesco Ghissi, dont les Vierges nous sourient avec l’adorable douceur d’un chant de rossignol, sous les belles robes étoilées qui recouvrent leurs corps aux formes indécises ; ainsi faisait leur descendant Gentile, avec une science et une richesse de métier infiniment supérieures, mais toujours exclusivement consacrées à ravir les yeux et le cœur de la chrétienté.


De telle sorte que le délicieux génie du poète de l’Adoration des Mages a été presque sans effet sur les peintres florentins. Lorsque ceux-ci, — réveillés par lui de l’engourdissement qui pesait sur eux depuis un demi-siècle, — ont voulu chanter, eux aussi, comme le leur enseignait leur confrère ombrien, il s’est trouvé que leur voix se refusait au chant, excellente d’ailleurs et vraiment sans pareille pour discourir en prose sur tous, les sujets. Mais, en dehors de Florence, peut-être n’y a-t-il pas eu une cité italienne où la trace du passage de Gentile de Fabriano ne se manifestât par une rapide et superbe floraison de beauté poétique. A Sienne, à Pérouse, à Vérone, des maîtres ont surgi qui, chacun à sa manière et conformément au génie de sa race, ont tenté de poursuivre le même idéal. A Venise, comme je l’ai rappelé déjà, c’est de Gentile qu’est sortie cette école des Bellini qui nous a donné, à son tour, la grande peinture vénitienne des XVe et XVIe siècles, la plus différente de l’art florentin que l’on puisse rêver. Et l’on raconte enfin que le Flamand Rogier van der Weyden, venu à Rome pour le Jubilé de 1450, entre tous les chefs-d’œuvre italiens n’a voulu admirer que les fresques et tableaux du vieux Gentile. Qui nous dira toute l’importance des leçons qu’il en a reçues, et combien le maître de Fabriano, par son entremise, a pris de part à la formation du génie des Memling, des Martin Schongauer, et de Durer même ?


T. DE WYZEWA.