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futur rôle de la Reine en matière politique, et plût au ciel que l’événement leur eût donné raison ! Le long martyre, la fin touchante de Marie-Antoinette, le courage qu’elle a déployé dans les plus affreuses circonstances, ont à bon droit nimbé son front d’une auréole, qu’il serait cruel d’arracher. Sa mort couvre et protège sa vie, défend sa mémoire, peut-on dire, contre le jugement de l’histoire. La vérité pourtant a des droits, tout comme la pitié. Sans insulter à l’infortune et sans violer les convenances, il doit être permis de dire, après plus d’un siècle écoulé, quelles erreurs et quelles fautes marquèrent, dès le début du règne, l’intervention incessante de la Reine dans les affaires publiques, d’exposer notamment combien elle contribua à la désaffection publique qui, isolant le trône au milieu de l’orage et le privant de ses plus sûrs appuis, le livra presque sans défense à ceux qui méditaient sa ruine.

La femme, chez Marie-Antoinette, était supérieure à la reine. Ses qualités comme ses défauts formaient avec Louis XVI le plus parfait contraste. On a discuté son physique, et il paraît certain qu’elle n’était pas régulièrement jolie ; mais sur sa grâce, sur sa noblesse, sur le charme et l’éclat radieux qui paraient sa jeunesse, tous les témoignages sont d’accord. « Lorsqu’elle est debout ou assise, c’est la statue de la beauté ; lorsqu’elle se meut, c’est la grâce en personne… On dit qu’elle ne danse pas en mesure, mais alors c’est la mesure qui a tort. » Ainsi s’exprime Walpole[1]. Le comte d’Hézeckes, dans ses Souvenirs d’un page, donne la même note, avec moins de lyrisme : « Quand elle sortait, le dimanche, de son appartement au bout de la galerie, pour venir chercher le Roi et aller à la messe, on voyait au-dessus de son entourage s’agiter les plumes de sa coiffure, et elle dominait de la tête toutes les dames de la Cour… D’une taille un peu forte, elle n’était jamais mieux habillée que dans sa toilette du matin. » Voici encore le croquis que trace d’elle, dans ses Mémoires inédits, un homme qui ne l’aimait guère, le comte de Saint-Priest, ex-ambassadeur de Louis XV[2] : « Cette princesse était grande et bien faite, le teint admirable, le pied et la main charmans, l’ensemble de la personne agréable, sans cependant des traits distingués de beauté. Elle avait de la

  1. Lettre du 23 août 1775.
  2. Mémoires inédits du comte de Saint-Priest. — Collection du baron de Barante.