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AU COUCHANT DE LA MONARCHIE.

facilité et de la grâce à s’énoncer, mais dans le fond peu d’instruction. »

La séduction de son esprit égalait celle de ses manières. Non qu’elle émaillât sa causerie de mots spirituels ou profonds ; on ne cite d’elle nul trait piquant, nul aperçu neuf ou frappant, nulle saillie digne de mémoire. Mais le tact, l’enjouement et le désir de plaire tenaient lieu de verve brillante et lui conciliaient mieux les cœurs. « Elle trouvait au moment ce qu’il y avait de plus convenable dans les circonstances, ainsi que les expressions les plus justes[1]. » Son instruction était élémentaire ; elle montrait peu de goût pour la lecture, sérieuse ni même frivole ; mais, du peu quelle savait, elle tirait habilement parti. On doit aussi lui reconnaître un fond réel d’honnêteté, de bonté, une certaine droiture de conscience. « Son premier mouvement est toujours le vrai, » écrivait son frère Joseph II. Ces bonnes dispositions étaient malheureusement gâtées par une frivolité, une irréflexion étourdie, une fureur de plaisir, qui lui faisaient sacrifier sans scrupule son devoir et son intérêt à la fantaisie du moment. Insoucieuse du qu’en-dira-t-on, versatile dans ses goûts, fougueuse dans ses caprices, emportée dans ses affections comme dans ses haines et ses rancunes, elle se donnait trop aisément, dit un homme qui l’a vue de près, l’air et le ton « d’une enfant mal élevée[2]. »

Elle était, par nature, dépourvue d’ambition ; son amusement l’occupait davantage que les affaires d’État ; et sa mère, dans les premiers temps, déplorait même cette aversion pour les choses de la politique : « Je crains la nonchalance de ma fille, son peu de goût pour toute occupation sérieuse et son éloignement de tout ce pour quoi il faudrait se donner quelque peine. » — « Je doute, reprenait-elle à quelques jours de là, qu’elle aura jamais beaucoup de part aux affaires. Son inapplication y mettra toujours un obstacle assez fort[3]. » Ce souci maternel fera rapidement place à l’inquiétude contraire. Non que le trône ait modifié les sentimens et les goûts de Marie-Antoinette. Elle restera toujours, de cœur, éloignée de la politique, étrangère à l’esprit d’intrigue. Mais son entourage familier ne lui permettra pas longtemps cette abstention prudente ; ses amis et ses

  1. Portraits et caractères, par Sénac de Meilhan.
  2. Souvenirs de Moreau.
  3. Lettres des 16 juin et 16 juillet 1774. Correspondance publiée par d’Arneth.