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favorites la jetteront bientôt dans la lutte, exploiteront sa facilité, pousseront son indolence à travailler, non pour elle, mais pour eux. Ni la France, ni le Roi, ni Marie-Antoinette elle-même n’auront à s’en féliciter !


Après la Reine, la plus grande influence auprès du nouveau Roi semblait devoir être celle de ses tantes, « Mesdames tantes, » comme on les appelait, les filles non mariées de Louis XV. En 1774, quatre d’entre elles survivaient à leur père, Mesdames Adélaïde, Victoire et Sophie, demeurées à la Cour, et Madame Louise, cloîtrée chez les Carmélites de Saint-Denis. Ces vieilles filles, toujours tenues à l’écart des affaires, reléguées à dessein dans le cercle restreint d’un entourage inepte et les puérilités d’une étroite bigoterie, unissaient, a-t-on dit, « aux sévérités de l’âge toutes les aigreurs du célibat[1]. » La plus active, la plus intelligente des quatre était l’aînée, Madame Adélaïde. Elle avait eu, dans sa première jeunesse, des traits nobles et réguliers, mais les années avaient de bonne heure fait leur œuvre. C’était maintenant une grande femme sèche, au nez coupant, au regard impérieux, à la voix dure, au parler bref, aux manières brusques et cassantes. Vertueuse d’ailleurs, malgré les bruits affreux répandus sur son compte, mais sans douceur et sans bonté, orgueilleuse de son rang, implacable sur l’étiquette, pétrie de préjugés, autoritaire et tracassière. Après la mort du Dauphin et de la Dauphine, elle s’était jadis occupée, avec un certain zèle, de ses neveux orphelins, spécialement du futur Louis XVI ; aussi ce dernier montrait-il pour celle qui avait « caressé sa solitaire enfance » une gratitude mélangée de respect, d’affection et de crainte.

Mesdames Victoire et Sophie, créatures effacées, subissaient passivement l’ascendant de leur sœur aînée. La première avait été belle, elle restait encore agréable, avec quelque douceur dans les yeux et dans le sourire, d’ailleurs l’incapacité même, sans instruction, sans volonté, menant avec résignation une existence végétative. Madame Sophie, d’une rare laideur, timide et gauche jusqu’à l’infirmité, l’air « triste et toujours étonné, » n’était pour ceux qui l’approchaient qu’un objet de pitié. « C’est au fond, j’en suis sûre, une âme d’élite, mandait Marie-Antoinette

  1. Marie-Antoinette, par Edmond et Jules de Goncourt.