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bout de quelques années, ces chalets qui ressemblent toujours à des baraquemens provisoires, ne sont plus que des ruines branlantes. Rien de misérable et de désolé comme ces longues rues tortueuses de Stamboul, avec leurs enfilades de masures affaissées, qui festonnent, tout de guingois, pendant des kilomètres. Celles des riches vous évoquent les petites rues lugubres de nos villes de province, où les vieilles constructions en bois se sont conservées. Un soir, en remontant d’Atik-Ali vers la mosquée Mehmet, je retrouvai, sous ce ciel oriental, la tristesse et la solitude de nos plus mornes Avranches. Quant aux quartiers pauvres, ils apparaissent sordides comme des campemens de gitanes. Et ce qui en rend l’aspect si navrant, c’est peut-être le contraste entre la décrépitude de ces logis et l’étalage de prétentieuses élégances européennes que l’on surprend, de-ci, de-là, par une fenêtre ouverte, ou une porte entre-bâillée : des stores de cotonnade autrichienne, des lampes ou des suspensions de pacotille, et même, quelquefois, — une armoire à glace en pitchpin !...

Lorsque j’errais dans Stamboul, pendant l’automne de 1906, à part le quartier de Phanar et celui des Juifs, — ou encore celui du grand Bazar, sans cesse grouillant d’une population très active, — tout le reste de l’énorme ville avait l’air inhabité. De rares passans se faufilaient dans les ruelles, avec des mines circonspectes ou craintives. Parfois une ritournelle de graphophone s’échappant d’une maison hermétiquement close : c’était un harem qui tuait le temps en se grisant de musique au rabais. Partout un vide, un silence presque inquiétant. Je m’égarais ainsi dans la direction de Yédi-Koulé et des remparts byzantins. Je traversais de vastes quartiers déserts ; de loin en loin, la longue figure pâle d’une jeune fille grecque glissait entre les rideaux d’une fenêtre. Des terrains vagues se succédaient, des jardinets en friches, des placettes envahies par les décombres et les ordures, où de rares platanes ébranchés se desséchaient autour d’une fontaine poudreuse et tarie. J’atteignais une petite mosquée perdue, je m’asseyais sur la bordure de pierre qui protège les arbres de la cour. Personne aux alentours. Un calme, une absence presque totale de bruits à se croire dans une ville morte. Puis, tout à coup, du haut du minaret, la voix chantante du muezzin tournait avec lenteur aux quatre coins de l’espace ; et cet appel à la prière, qui tombait dans ce grand