Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 49.djvu/72

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

silence, cette voix solitaire, à laquelle nulle autre ne répondait, passait en mélancolie funèbre les sonneries de vêpres les plus mortuaires dans nos paroisses les plus abandonnées.

Il est vrai qu’en ce moment-là, la terreur de l’ancien régime pesait lourdement sur Stamboul. Non seulement, les moindres rassemblemens étaient interdits, mais l’espionnage dispersait la clientèle des cafés et des lieux publics. Les occupations journalières une fois terminées, oh sortait le moins possible. Chacun se terrait chez soi, en quittant l’échoppe ou le bureau. La vie de famille était jalousement fermée. En doit-on conclure que les Turcs, pour s’être résignés si longtemps à cette claustration forcée, ont, plus que les autres Orientaux, le culte du foyer ? J’avoue que je n’en sais rien. La crainte de la délation, sans parler du préjugé musulman contre tout visiteur mâle, rendait très difficile, lors de mon passage, même l’accès des plus humbles logis populaires. J’eus pourtant la bonne fortune d’en visiter un.

C’était à Scutari, chez un brave homme qui remplissait les fonctions de garçon de bureau dans une administration impériale. J’y avais été conduit par un Jeune-Turc, et, naturellement, celui-ci tenait à me donner de la basse classe ottomane une idée aussi flatteuse que possible. Après avoir grimpé une ruelle fort mal pavée, nous nous trouvâmes bientôt en présence d’un konak assez imposant :

— C’est là ! me dit mon guide.

Comme je m’étonnais qu’un employé subalterne fût si confortablement logé, il ajouta :

— Vous avez raison de vous étonner ! Ce konak appartenait autrefois à ma grand’mère qui en a fait cadeau au père du propriétaire actuel, un de ses anciens domestiques, dont elle voulait récompenser les loyaux services...

J’admirai la générosité de cette grand’mère, générosité qui, d’ailleurs, n’a rien d’exceptionnel en pays musulmans... Nous heurtâmes à la porte soigneusement barricadée, et, après une longue attente, une petite servante sans voile et nu-pieds vint nous ouvrir. Elle nous introduisit dans une pièce très spacieuse du premier étage, et, tout de suite, à une foule d’indices significatifs, j’eus l’intuition qu’on en avait fait la toilette, en prévision de ma visite. C’était si propre, si bien épousseté, et balayé, les meubles et les moindres objets rangés dans un si bel ordre,