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accueillie avec transports, et l’on s’empresse de bâcler le marché. Musique, festin, promenade en voiture ou en charrette, tout marche bien d’abord ; mais plus tard, la jeune épouse, pour une raison ou pour une autre, vient-elle à déplaire à son maître, il ne balance guère à la répudier. S’il n’y a pas d’enfans, c’est vite fait : il lui « donne son papier, » — telle est l’expression consacrée. Si, au contraire, il y a des enfans, alors les débats s’éternisent devant le cadi. L’homme, obligé de servir une pension alimentaire, chipote sur la somme, ou, après l’avoir promise, refuse de la payer, soit par mauvaise foi, soit que réellement il ne le puisse pas. Il reprend sa femme, ou bien le divorce est ajourné ; et comme, en attendant, il ne veut pas se priver des joies conjugales, il introduit au logis une nouvelle épouse : l’abandonnée est réduite au rôle d’esclave, et ses enfans deviennent des souffre-douleurs.

La facilité du divorce est, en pays musulmans, vraiment scandaleuse. Le moindre prétexte suffit. Un propriétaire européen des environs d’Assiout me contait l’histoire que voici. Il avait un cuisinier indigène âgé de quelque cinquante ans et marié à une jeune et jolie femme. Un beau jour, il s’aperçoit que l’épouse a été remplacée par une adolescente à peine formée : — « Et ta femme ? dit le propriétaire. Où est-elle ? — Qu’est-ce que tu veux ? Je lui ai donné son papier : il était trop vieux !... » Et, en prononçant ce trop vieux, le cinquantenaire se livrait à toute une mimique de dégoût, extraordinairement expressive et plaisante à voir. Or la répudiée n’avait pas vingt-cinq ans. N’importe, il était trop vieux ! C’est plus qu’il n’en fallait pour la mettre au rancart[1] !

Malgré cet état précaire des ménages et une hygiène plus précaire encore, les enfans poussent avec une luxuriance que rien n’arrête. Il y aurait de quoi en être surpris, si l’on ne connaissait la violence extrême de l’instinct chez les Orientaux. Pour ces hommes, l’amour est la grande affaire de l’existence. L’âge ne refrène par leurs appétits : ils ne sont jamais rassasiés. A Péra, on me citait, comme un dicton courant, cette phrase qui exprimait alors toutes les ambitions d’un jeune Turc » : Une belle femme et une bonne sinécure ! » Le malheur, c’est qu’ils sont trop

  1. Si l’on désire être édifié sur cette question, qu’on lise l’ouvrage très curieux, très documenté et très intéressant de Mme Ruchdi Pacha : les Répudiées. (Félix Juven.)