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dans les Mille et une Nuits que les portefaix sont aimés par des princesses et que les veuves se consolent avec leurs intendans.

Dans une société ainsi organisée, il est trop évident que nos morales, pas plus que nos principes d’hygiène ne trouvent leur compte. En ce qui concerne la plèbe, la famille nous y apparaît peut-être encore plus instable que chez nos prolétaires occidentaux. Si, chez nous, elle est sourdement minée par les doctrines anarchistes, compromise aussi par l’égoïsme bourgeois, — là-bas, elle est livrée à tous les caprices du bon plaisir et de la sensualité, elle est sans cesse menacée, dans son foyer même, par tous les fléaux qui dérivent de la misère et de la barbarie. Mais le flot prolifique emporte tout. À cause de cette fécondité, les Orientaux peuvent être bien tranquilles sur leur destin. Ils savent qu’à la longue leur débordement finira toujours par noyer l’envahisseur.


II. — LE TRAVAIL

Cette plèbe orientale, encore si arriérée et si misérable, cherche-t-elle au moins à sortir de sa misère et à s’en affranchir par le travail ? En général, nous autres Français, nous sommes très injustes pour elle et nous ne voulons pas voir son effort. L’inertie de nos Arabes algériens nous fait mal juger des autres Musulmans et de toutes les races en contact avec l’Islam. Il est certain que, dans notre Afrique du Nord, si l’on met à part la population des villes, les indigènes ne brillent point par leurs qualités laborieuses ou industrieuses. Mais si l’on passe seulement d’Alger ou de Constantine à Tunis, on constate aussitôt une très sensible différence. Je ne surprendrai personne, je pense, en affirmant que le Tunisien est, en général, plus actif que l’Algérien. Quand on arrive en Egypte, les étonnemens redoublent. Toute cette vallée du Nil n’est qu’une immense ruche en continuelle effervescence. Alger et Tunis sont des villes endormies à côté d’Alexandrie et du Caire. Le mouvement, la circulation intense dans les quartiers commerçans, le grand nombre des échoppes, des usines et des chantiers, le foisonnement des manœuvres et des artisans, — tout cela nous rappelle immédiatement l’activité occidentale, avec quelque chose de plus dense, de plus vivant et de plus coloré.