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justice, tels que le Châtelet de Paris, les bailliages d’Auxerre et de Troyes, toute une longue série de mesures qui constituaient dans leur ensemble une « révolution » véritable. Mesures brutales sans doute, mais non entièrement illégales, car, sous l’ancien régime, les offices, comme on l’a justement observé, étant « vénaux plutôt qu’inamovibles, » le magistrat acquéreur de sa charge était « plus protégé par le droit de propriété que par une fiction légale, » et le souverain, par un procédé détourné, gardait la faculté de contraindre le titulaire à se défaire de son emploi par une aliénation forcée. Cette espèce d’expropriation avait été plus d’une fois pratiquée. La nouveauté du système de Maupeou fut d’opérer en masse ce qui se faisait avant lui à titre exceptionnel.

La citadelle prise et rasée, il s’agissait de rebâtir. Maupeou fut aussi prompt à réédifier qu’à détruire. Le 23 février, un mois après son coup de force, six « conseils supérieurs, » comprenant cent soixante magistrats et jugeant en appel toutes les affaires civiles et criminelles de leurs circonscriptions, étaient créés dans le ressort de l’ancien parlement de Paris, dont l’étendue était démesurée[1]. Ce fractionnement, qui rapprochait le juge du justiciable, constituait un progrès dont les bienfaits se tirent promptement sentir. Deux mois plus tard, le 13 avril, publication de trois édits organisant le parlement nouveau, nommant soixante-dix conseillers, quatre présidens à mortier, un premier président, — qui fut Bertier de Sauvigny, — et promulguant les grandes réformes qui restent l’honneur de Maupeou : la suppression de la vénalité des charges, la gratuité de la justice, la simplification de la procédure. Telle était la vaste entreprise qui, conçue et exécutée avec une précision et une énergie surprenantes, fut annoncée par Louis XV à son peuple dans le discours fameux qui se terminait par ces mots : Je ne changerai jamais.

Que l’œuvre en soi fût bonne, la preuve en est que, de nos jours encore, les principes proclamés par M. de Maupeou, complétés, élargis par la Révolution, sont demeurés la base de notre droit public. Mais qui mettrait ces idées en pratique et leur ferait produire leurs fruits ? La principale difficulté que rencontra le chancelier fut dans le recrutement des hommes chargés de

  1. Il embrassait les circonscriptions d’Arras, de Lyon, de Poitiers, de Clermont-Ferrand, etc., etc.