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rendre la justice. Il s’établit bien vite une comparaison désastreuse, tant pour le caractère que pour la capacité juridique, entre le nouveau personnel improvisé en hâte et les vieux magistrats, intraitables sans doute et rétifs à l’obéissance, mais pleins d’honneur, de science, d’intégrité professionnelle. Maupeou lui-même, dans ses heures d’épanchement, faisait bon marché de ses choix : « J’ai dû faire, disait-il, comme le propriétaire qui loue un bâtiment neuf à des filles, pour essuyer les plâtres. »

Ainsi qu’on devait s’y attendre, l’effort des adversaires du chancelier se concentra sur ce point faible. Un tolle formidable s’éleva dans le royaume. En tête, les princes du sang, à l’exception du jeune comte de La Marche, dont le père, le prince de Conti, était l’âme de la résistance. Un violent réquisitoire, signé par les princes de Condé, de Conti, d’Orléans, traita Maupeou d’ « ennemi public. » Les termes en étaient si durs, que tous les signataires reçurent défense de paraître à la Cour. Les propres filles du Roi, — qui devaient d’ailleurs vite passer dans le camp opposé, — une bonne partie de la noblesse et de la haute bourgeoisie, et tous les gens de loi, prirent fait et cause pour le parlement exilé. Les avocats refusèrent de plaider devant les nouveaux magistrats. Les femmes s’associèrent au mouvement avec une ardeur enflammée qui rappelait les jours de la Fronde. Aussi disait-on de Maupeou qu’il n’aurait nulle chance de succès, s’il ne pouvait « faire taire les femmes et faire parler les avocats. »

Le chancelier tint tête avec une belle vaillance. Infatigable à la riposte et rendant coup pour coup, tantôt à visage découvert, et tantôt employant contre ses adversaires les armes cachées et perfides dont eux-mêmes usaient contre lui, pas un instant, au fort de cette bataille, il ne se laisse détourner de sa tâche. A la fin de l’année 1771, toutes les cours sont reconstituées, le service judiciaire fonctionne régulièrement partout Aussi nombre de justiciables sont-ils forcés de confesser les avantages de l’organisation nouvelle. Et graduellement, devant la victoire remportée et le fait accompli, toutes les oppositions mollissent et cèdent l’une après l’autre. Les avocats capitulent les premiers : à la rentrée du parlement de Paris, deux cents d’entre eux se rendent à la « messe rouge, » où l’archevêque officie en personne. L’automne suivant, ce sont les princes qui