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Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 49.djvu/837

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les paroles essentielles qui s’échangèrent entre eux dans ce décisif entretien :

LE ROI. Vous n’avez pas de portefeuille ; vous n’avez pas grand’chose sans doute ? — MAUREPAS. Je vous demande pardon, Sire. L’affaire dont j’ai à vous parler n’a pas besoin de papiers, mais elle n’en est pas moins importante. Il s’agit de votre honneur, de celui de votre ministère, et de l’intérêt de l’État. L’indécision dans laquelle vous laissez flotter les esprits avilit vos ministres actuels et laisse les affaires en suspens. Voilà un mois de perdu, et vous ne sauriez continuer sans faire tort à vous et à vos sujets. Si vous voulez conserver vos ministres actuels, publiez-le, et ne les laissez pas regarder par toute la populace comme voisins de leur chute. Si vous ne voulez pas les garder, dites-le pareillement, et nommez leurs successeurs. — LE ROI. Oui, il faut décider, et il faut les changer. Ce sera samedi, après le Conseil des dépêches. — MAUREPAS (avec vivacité). Non, point d’ajournement, ce n’est pas ainsi qu’on gouverne un État ! Le temps n’est pas un bien que vous puissiez perdre à votre fantaisie, et il faut donner votre décision avant que je sorte d’ici. — LE ROI. Mais que voulez-vous ? Je suis accablé d’affaires, et je n’ai que vingt ans. Tout cela me trouble. — MAUREPAS. Ce n’est que par la décision que ce trouble cessera. Laissez les papiers à vos ministres, et bornez-vous à en choisir de bons et d’honnêtes. Vous m’avez toujours dit que vous vouliez un ministère honnête ; le vôtre l’est-il ? S’il ne l’est pas, changez-le ; voilà votre fonction. Ces jours derniers, l’abbé Terray vous mit à portée de le faire, en vous demandant après son travail si vous étiez content de sa gestion. — LE ROI. Vous avez raison, mais je n’osai pas. Il n’y a encore que quatre mois, que l’on m’avait habitué à avoir peur quand je parlais à un ministre. — MAUREPAS. Alors vous aviez à leur demander, et ils étaient les maîtres ; aujourd’hui, ils sont vos ministres, à vous. L’abbé Terray vint me rendre compte de ses incertitudes et de votre silence ; j’étais dans l’embarras moi-même. Je suis venu tous les jours à votre lever ; que ne m’avez-vous tiré à part pour m’en dire un mot ? Mais il faut vous arracher les paroles, pour vos intérêts les plus précieux ! »

Maurepas, voyant le Roi ébranlé et ému, serre alors la