Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 49.djvu/838

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

question d’une manière encore plus pressante : « Voulez-vous ou ne voulez-vous pas changer les deux ministres ? — Oui, je le veux bien. — Alors que ce soit dès à présent. J’irai l’annoncer à l’abbé Terray, et M. de La Vrillière ira demander les sceaux au chancelier. Etes-vous décidé sur les successeurs ? Car il faut tout terminer à la fois ; les incertitudes pour les places font naître les intrigues. — Oui, dit le Roi, je me décide. M. Turgot aura la Finance. — Mais il désire, avant d’accepter, avoir une audience de Votre Majesté. — Je le mis avant-hier à portée de s’expliquer, reprit Louis XVI, car nous parlâmes peu de marine, et je lui parlai de quelques objets qui touchent au contrôle général. J’attendais qu’il s’ouvrît avec moi. — Il attendait, je crois, plus encore de vous, et l’ouverture ne pouvait venir que de votre part. Je vais le chercher, et vous l’envoyer sur-le-champ. Et quant aux autres choix ? — Eh bien ! articula Louis XVI après une courte hésitation, M. de Miromesnil aux Sceaux, et M. de Sartine à la Marine. Il faut leur envoyer un courrier. »

L’affaire ainsi enlevée, Maurepas, avant de s’éloigner, crut devoir s’excuser d’avoir parlé avec une vivacité excessive : « Sire, dit-il, je vous en demande pardon, j’étais trop échauffé. — Oh ! non, ne craignez rien, s’écria Louis XVI en lui posant la main sur l’épaule, dans un geste affectueux. Je suis assuré de votre honnêteté, et cela suffit. Vous me ferez plaisir de me dire toujours la vérité avec cette force ; j’en ai besoin. »

Turgot, averti par Maurepas, monta peu après chez le Roi. L’audience fut brève, l’échange d’idées sommaire, mais la conversation eut lieu sur un ton de cordialité dont témoignent leurs derniers mots[1] : « Tout ce que je vous dis est un peu confus, dit Turgot au moment de prendre congé, parce que je me sens encore bien troublé. — Je sais que vous êtes timide, mais je sais aussi que vous êtes ferme et honnête, et que je ne pouvais mieux choisir. Je vous ai mis à la marine quelque temps, pour avoir occasion de vous connaître. — Il faut, Sire, que vous me donniez la permission de mettre par écrit mes vues générales et, si j’ose dire, mes conditions sur la manière dont vous devez me seconder dans cette administration ; car, je l’avoue, elle me fait trembler, par la connaissance superficielle que j’en ai. — Oui, répliqua le Roi, comme vous voudrez. Mais, ajouta-t-il

  1. Journal de l’abbé de Véri. — Passim.