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et sur un ton de fermeté qui surprit l’assistance. Suivit la lecture des édits rétablissant, avec le parlement, le Grand Conseil et la Cour des Aides, et de l’ordonnance relative à la discipline de ces corps. Il ne fut pas question dans cette journée des parlemens de province ni des autres juridictions supprimées par Maupeou ; ce fut l’œuvre des mois suivans ; près d’un an s’écoula avant que l’œuvre entière de l’ex-chancelier fût définitivement détruite.

Le départ du Palais et le retour du cortège royal à la Muette furent salués par des ovations plus frénétiques encore que l’arrivée. « La canaille de Paris, écrit un spectateur sceptique, se réjouissait sans savoir pourquoi. » Louis XVI jouissait innocemment de cette allégresse populaire. On voit le reflet de cette joie dans les lignes triomphantes que Marie-Antoinette, à quatre jours de là, adressait à sa mère : « La grande affaire des parlemens est enfin terminée ; tout le monde dit que le Roi y était à merveille. Tout s’est passé comme il le désirait… J’ai bien de la joie de ce qu’il n’y a plus personne dans l’exil et le malheur. Tout est réussi, et il me paraît que, si le Roi soutient son courage, son autorité sera plus grande et plus forte que par le passé. » Combien plus clairvoyante est cette autre contemporaine, qui écrit à la même époque : « Il s’agit de savoir si ce sont des juges ou des tyrans qu’on va remettre sur les fleurs de lys[1]. »


L’acte historique dont on vient de lire le récit, dégagé des passions du temps et envisagé à distance, avec le recul des années, apparaît comme la première faute du règne de Louis XVI et l’une des plus chèrement payées ; car, dans le domaine politique, renouer une tradition est fréquemment plus difficile, et non moins dangereux, que la rompre. Que le coup d’Etat de Maupeou eût été brutal dans la forme, cruel dans certaines de ses suites, scandaleux, si l’on veut, par quelques-uns des hommes dont on dut se servir, on ne peut songer à le nier ; ainsi d’ailleurs s’explique l’erreur d’un prince juste, honnête et sensible. Mais le fait essentiel, c’est que Maupeou avait, somme toute, réussi dans son entreprise et que, dans la période troublée que traversait alors la France, son œuvre servait puissamment l’intérêt de la royauté. Le plus fort était fait ; un mot du

  1. Lettre de Mlle de Lespinasse du 30 octobre 1774.