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Roi, l’apparence d’une volonté ferme, eût achevé de briser les dernières résistances. Par l’infusion d’un sang nouveau, on eût aisément remédié au seul vice du nouveau régime, l’indignité du personnel improvisé au lendemain d’une bataille. Ainsi conservait-on en main un instrument souple, maniable, assez robuste pour aider l’action du pouvoir monarchique, et pas assez pour la contrecarrer.

Au contraire, en rappelant les anciens parlemens, le Roi relevait de sa ruine et reconstituait légalement un grand parti d’opposition, tracassier, méfiant, ombrageux. Malgré les promesses faites et les précautions prises, les magistrats remontaient sur leurs sièges plus imbus que jamais de leurs prétentions séculaires, aigris par la persécution, enivrés de leur victoire, convaincus de leur toute-puissance, prêts à des séditions nouvelles. Comment compter, d’ailleurs, sur ces revenans d’un autre âge pour comprendre l’utilité d’un programme de réformes, sur cette antique institution pour rajeunir un État vieillissant ? Le parlement, de par sa nature même, tout en troublant la quiétude des partisans du statu quo, serait forcément un obstacle à ceux qui prétendraient agir ; et le système cher à Turgot, la rénovation nationale opérée par le Roi lui-même armé du pouvoir absolu, rencontrerait, dans l’inertie ou le mauvais vouloir de la magistrature, la barrière où il se briserait.

Sans aller jusqu’à dire que le rappel des parlemens fut la cause essentielle de la chute de la Monarchie, on peut admettre tout au moins, avec l’un des curieux qui, après le lit de justice, virent passer le cortège royal parmi les vivats de la foule, qu’en cette journée fameuse, Louis XVI a, de ses propres mains, « posé la première pierre de la Révolution[1]. »


MARQUIS DE SEGUR.

  1. Souvenirs du baron de Frénilly.