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de la plèbe orientale se réduisent aux solennités religieuses, aux fêtes de mariage et de circoncision, voire aux enterremens qui sont, dans ces pays, une cérémonie plutôt gaie. Nulle part, ces manifestations n’ont autant de pittoresque qu’en Égypte. Ce sont de véritables « pompes, » des spectacles d’un apparat un peu burlesque, mais qui, en tout cas, accrochent l’œil et amusent l’imagination. Les carrosses des mariés traversent la ville, peinturlurés du haut en bas, couverts de soies brochées, de tapis en velours grenat tout frangés et chamarrés d’or. En tête du cortège, des baladins à pied gesticulent. D’autres, à cheval, à dos d’âne ou à dos de chameau, défilent majestueusement. Une charrette décorée d’oripeaux et de guirlandes traîne une espèce de cuveau, où des histrions se démènent. Déguisés en femmes, ils miment des danses obscènes, ou bien, avec des contorsions et des déhanchemens de gitons, ils tournent du côté du public leur croupe monstrueusement gonflée. Cette mise en scène, d’un caractère si franchement populaire, fait la joie de la foule, à laquelle d’ailleurs elle s’adresse. Et c’est encore pour l’ébaudissement du bon peuple que les cortèges de circoncision se maintiennent dans un éclat relatif, bien que les nouvelles mœurs aient une tendance à diminuer la publicité un peu tapageuse de ces exhibitions.

Je n’en ai vu qu’un seul, au Caire, pendant un séjour de trois mois, mais j’en ai gardé un souvenir très spécial. C’était le soir, vers neuf heures, dans une des grandes rues qui aboutissent au Palais d’Abdin. Tout à coup, des cuivres mugirent, au milieu d’une rumeur de procession. Une bande de musiciens, soufflant dans des trombones, heurtant des cymbales, tapant sur des tambours, ouvrait la marche, suivie d’un orchestre arabe, dont les flûtes et les darboukas rivalisaient de vacarme. Immédiatement derrière, une escouade de jeunes gens portait des torches et même des lampes de jardin. Puis, venait le nouveau circoncis, un enfant de douze à treize ans, encadré et soutenu par deux petits garçons de son âge, qui lui donnaient le bras. Tous les trois s’avançaient à pas comptés, d’un air pudique et recueilli, en redingote noire et cravate blanche, un bouquet virginal à la main. L’attitude de la victime était vraiment touchante de gaucherie, d’ingénuité, et aussi d’une mélancolie bien en rapport avec la circonstance. Les gens du quartier, accourus sur leurs portes, applaudirent ; des pétards éclatèrent ; on se