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pressait pour contempler la suite du cortège, qui souleva un murmure d’admiration. C’était une véritable retraite aux flambeaux : des hommes se succédaient deux par deux, soutenant sur leurs épaules des perches pliantes auxquelles pendaient des lustres allumés, tout éblouissans de pendeloques. Enfin, pour clore le défilé, un individu étrange, nu-pieds, les cheveux crépus, sanglé dans une ceinture de cuir, son gros ventre proéminent sous une galabieh de cotonnade bleue, — un vrai type d’esclave de la comédie latine, — trimballait avec dignité, au bout d’un bâton, une espèce de pot à feu, où grésillait de la résine...

Cette frise vivante, qui rougeoyait à demi dans les ténèbres, m’intéressait certainement pour d’autres raisons que les spectateurs. Mais, avec leur sens de la représentation, leur amour de tout ce qui brille, ces boutiquiers et ces ouvriers cairotes s’en émerveillaient. De menus événemens comme celui-là embellissent et dramatisent un peu leur existence. d’ailleurs, dans tous les pays d’Orient, les deux tiers de la population passent leur temps à regarder l’autre. A Jérusalem, c’est la grande occupation des habitans. Presque chaque semaine, il y a une ou plusieurs réceptions officielles. Vu l’abondance de dignitaires ecclésiastiques, administratifs ou diplomatiques, ces cérémonies toujours les mêmes se multiplient indéfiniment, sans lasser la curiosité de la Ville Sainte. Aujourd’hui, c’est le nouveau wali qui fait son entrée ; demain, ce sera le patriarche syrien, après-demain le patriarche grec orthodoxe, puis le patriarche grec catholique, le patriarche arménien, le Légat du Saint-Père, ou même l’Empereur d’Allemagne en personne. Le corps consulaire en uniforme, les fonctionnaires, la garnison, tout ce monde très galonné et décoré est en mouvement. Les cochers lancent leurs guimbardes bondées sur le raidillon qui conduit à la gare. Claquemens de fouet éperdus, salves d’artillerie ! Les terrasses des cafés et des maisons sont noires de monde. On connaît d’avance le programme et les figurans. On sait qu’on n’aura aucune surprise. N’empêche ! On s’écrase pour mieux voir ; il faut bien essayer de se distraire !

Il est cependant, même pour la plèbe, des plaisirs d’ordre plus intellectuel, comme celui qu’ils prennent à s’entendre conter des histoires extraordinaires ou voluptueuses. Les récits des conteurs arabes sont célèbres dans le monde entier. Mais il m’a