Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 49.djvu/931

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il a déterré un bras ; moi, des mains, et quelles mains ! — Mon père, interrompt Guido, légèrement agacé, rappelons-nous qu’un peuple meurt de faim. — C’est juste, j’oubliais que vous faites la guerre, quand renaît le printemps, quand le ciel est heureux, quand la mer, etc. Mais vous avez raison. J’aurais dû vous dire tout de suite la nouvelle et la condition que j’apporte. Prinzivalle ne nous en impose qu’une. Pour épargner la ville, et même pour la ravitailler dès ce soir, il veut que ce soir aussi votre femme, ô mon fils, votre Vanna, se rende auprès de lui, seule et nue sous son manteau, parce qu’il l’a vue et qu’il l’aime. Aussi bien il la renverra demain matin, à la première heure. » Vous jugez de l’état du mari. Mais combien celui du beau-père est plus rare ! La prétention de Prinzivalle ne l’émeut pas outre mesure. « Elle sauve trente mille vies pour en affliger une, mais elle offre à celle-ci la plus noble occasion de se couvrir d’une gloire qui me semble plus pure que les gloires de la guerre. » Longtemps, longtemps ainsi, sur les lèvres de ce vieil humaniste, de ce pacifiste bienveillant, l’optimisme d’un Renan semble refleurir en propos absurdes et délicieux. En moins de paroles, très simples et très pures, Vanna consent tout de suite et, s’arrachant des bras de l’époux qui la maudit et l’insulte, silencieuse, mystérieuse aussi, quand descend le soleil et parmi les acclamations, les bénédictions de la foule, elle part. C’est le premier acte.

Le second est d’une grande beauté. Si Prinzivalle a fait venir Vanna, c’est qu’il l’aimait. Et voici que cet amour la défend, la sauve de lui-même. Jadis il la connut enfant : elle avait huit ans et lui douze. Il se nommait Gianello et son père, un vieil orfèvre, l’avait conduit un jour, un beau dimanche d’été, dans un jardin de Venise, où il allait offrir un collier de perles à la mère de la petite patricienne. Vanna maintenant le reconnaît à son tour. Elle se souvient de leurs jeux et que plus tard elle l’attendit longtemps, en vain. Son père, à lui, l’avait emmené en Afrique. Lorsqu’il revint, après mille hasards, Vanna, dont la mère était morte, avait épousé un grand seigneur pisan. Alors il loua son épée, son nom devint illustre parmi les mercenaires et, Florence l’ayant envoyé devant Pise, dans un moment de passion, de folie, le vainqueur exigea la rançon qu’à présent il n’ose plus recevoir. La scène, encore une fois, toute la scène, est fort belle : belle de puissance et de délicatesse, de discrétion et de force, d’ardeur contenue, de dignité attendrie et de renaissant amour ; belle enfin, chez l’un et l’autre personnage, par la justesse et la variété des mouvemens, par les mille retours et détours de l’un et de l’autre cœur.