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pas dire très primitif. C’était à l’époque du Rhamadan, dans un café de la Grande Place. Or, pendant cette période de jeûne et d’abstinence, les divertissemens nocturnes ont un éclat et une vogue exceptionnels. Je me disais : « Je vais me régaler de couleur orientale. Je suis à Damas, à deux pas du désert. Je vais entendre des chants et assister à des danses comme, de ma vie, je n’en ai vu ni entendu ! » Et, sur cette agréable assurance, je pénétrai dans la baraque en planches, où devait se donner la fête. Tout de suite, l’aspect de la salle me réjouit : c’était d’un bariolage si pittoresque ! Et la rudesse de l’aménagement comme de la décoration vous émouvait, par une telle évidence de candeur et de bonne volonté. Les bancs du parterre étaient munis de dossiers et de coussins en étoffe rouge. Au-dessus, se déployait, en fer à cheval, la rangée des loges, avec des chaises de paille pour s’asseoir, — et, détail touchant, une gargoulette pour se rafraîchir. Je m’installe dans la mienne, je contemple ma gargoulette, posée devant moi sur le rebord de l’accoudoir : elle est égueulée et fort crasseuse. Mais le mouvement, l’animation de la salle accaparent toute mon attention. Dans les loges assez peu garnies, il y a quelques officiers en uniforme, tout reluisans sous leurs aiguillettes en sautoir ; des familles de bourgeois chrétiens, deux ou trois femmes en chapeaux très voyans et très empanachés. Çà et là, de petits fonctionnaires turcs, des élèves de l’Ecole militaire. On me signale même, parmi les notables musulmans, un ancien gouverneur de Syrie, dont le nom est célèbre là-bas. Tout ce monde restreint des premières est insignifiant, il compte à peine. Le vrai public, c’est celui du parterre, le bon public populaire qui se presse sur les bancs ou qui s’accroupit sur les nattes : soldats de la garnison, en pantalons et en dolmans de toile bleue, la toile des cottes et des bourgerons de nos ouvriers, paysans de la banlieue, portefaix, Bédouins en dalmatiques éclatantes, immobiles sous le cache-nuque et les torsades de cordons en poils de chameau qui leur encerclent le crâne, — enfin la patrouille de nuit, qui occupe un banc spécial, des types farouches de bandits, les bras croisés et le fusil entre les jambes. Parmi cette foule, une escouade de serveurs circule continuellement : un mouchoir torchonné autour de la tête, un enfant passe entre les files des spectateurs, en tendant un brasero où les fumeurs de narguilés saisissent des charbons au bout d’une pincette. Un garçon rince des tasses