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tout en s’efforçant de contrefaire naïvement le théâtre des riches et des Européens.

A Constantinople, ce genre-là n’existait pas, lorsque je m’y trouvais, c’est-à-dire en pleine tyrannie hamidienne. Karagheuz lui-même et les spectacles d’ombres étaient défendus par la police, comme pouvant se prêter à des allusions séditieuses. Mais à Smyrne, à Beyrouth, à Damas, au Caire, j’ai eu de quoi repaître ma curiosité. Je donne la palme aux imprésarios du Caire, qui m’ont semblé les plus ingénieux, les plus bouffons et, si j’ose le dire, les plus « dans le train. » Tout de même, c’est encore l’enfance de l’art. Un de ces théâtres, où j’entrai, était une ancienne boutique désaffectée : les murs à peine crépis, le sol en terre battue. Quelques bancs de bois et des nattes pour le public. Une lampe à pétrole pendue aux solives, en guise de lustre. La scène, élevée sur des tréteaux, n’a pas de coulisses ; deux portes symétriques et masquées d’un lambeau d’andrinople en tiennent lieu. Mais il y a un rideau, qui glisse sur des tringles et qu’on écarte ou ramène à chaque fin ou commencement d’actes. Enfin on distribue des billets à l’entrée, derrière une planche percée d’un judas, et, quand vous sortez, on vous remet des contremarques comme au grand théâtre de l’Ezbékieh. Les acteurs improvisés sont évidemment des malandrins du quartier, de joyeux coquins très délurés et très éveillés aussi, grâce à leur contact perpétuel avec les cosmopolites. Le soir où j’assistai à la représentation, ils nous servirent une pièce enfantine, pleine de brigands et gendarmes, qui passionna fortement l’auditoire. Cependant, leur grand succès, ce fut une espèce de farce, où un Européen était berné par un ânier ou un porteur d’eau égyptien. Et, autant que je pus comprendre et deviner d’après l’accoutrement grotesque du personnage, le dindon de la farce était un Anglais. Il y eut aussi des pochades très pimentées avec des rôles de femmes tenus par des hommes, suivant l’usage antique et musulman, et d’autres où figuraient des jeunes garçons également déguisés en femmes. Mais il faudrait le latin pour signifier seulement de quoi il s’agissait.

Encore une fois, c’est l’enfance de l’art. A Damas, j’ai vu beaucoup mieux que cela. J’y tombai sur une troupe manifestement plus exercée et à prétentions plus littéraires. Le public aussi, quoique fort môle, était supérieur au précédent. Néanmoins, acteurs, public et local, tout restait très simple, pour ne