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notre destinée dans le cadre maternel de la nature ; effroi de l’éveil au malin d’un beau jour, « qui dans son cours n’exaucera pas un souhait, pas un seul ; » effort inlassable et foi certaine, toujours bandés vers la lumière ; activité tantôt sombre, brusque, crispée au rocher toujours retombant, tantôt ravie dans la splendeur d’un rêve ; élans de piété panthéiste et d’humaine fraternité ; gémissemens titaniques ; visions d’amour, d’allégresse, de sérénité, si brillantes et si pures, qu’elles ne peuvent être que le jeu avec soi-même d’une imagination extasiée par la douleur et par le dénuement : n’est-ce pas tout le fond des Symphonies, des Sonates, des Quatuors ? Gœthe maîtrisait son émotion pour la façonner en belles formes : Beethoven, au prix même, s’il le fallait, de la beauté, laissait crier tout son émoi. Il fut plus grand que Gœthe, parce que son cœur était divin, et non pas seulement son esprit ; parce que son vouloir était libre ; parce que sa vie était un désert d’affliction, et que, par fortune suprême, il connut l’isolement des hommes. Beethoven sourd sut entendre hors du monde la joie, idéale et formidable : il sut la saisir, et la forcer de prendre un corps pour notre consolation.

Gœthe n’a pas compris Beethoven. Sensible, dans l’arabesque sonore, au dérivatif de la pensée, au stimulant de l’imagination » Gœthe, à vrai dire, était encore trop poète pour acquérir tout le sens de la musique. Il a prononcé sur la musique quelques paroles justes, se préoccupant de celle ‘qui pourrait être composée pour Faust. On aimerait à penser que ce fut avec pleine conscience qu’il dit : — et comme cela nous mènerait loin des interprétations romantiques ! — « Cette musique devrait être dans le caractère de Don Juan… Mozart aurait pu écrire la partition de Faust. »

Il fut bizarre d’ajouter : « Meyerbeer le pourrait peut-être ! »


II

Deux musiciens seulement se sont mesurés au texte original. Schubert, encore adolescent, en tira quatre lieder ; Schumann, un choix de grandes scènes résumant beaucoup de l’esprit du livre, ouvrage qui l’occupa, lui aussi, une longue part de sa vie.

Parmi les surcharges que la musique ne lui a pas ménagées,